
Acculée financièrement, une jeune femme traverse Bucarest de long en large jusqu’à songer à une solution inattendue. Drame comique et comédie dramatique, Alișveriș du Roumain Vasile Todinca est un récit social plongé dans la laideur de la ville défigurée par le capitalisme. Absurde et féroce, pathétique et fantaisiste, Alișveriș évoque le cinéma joyeusement mal élevé de Radu Jude. Ce court métrage est présenté en compétition à la Semaine de la Critique. Vasile Todinca est notre invité.
Quel a été le point de départ de Alișveriș ?
Il se trouve qu’il y a quelques années, j’ai été témoin d’un événement plutôt particulier dans un supermarché. Alors que j’attendais dans la file, une femme devant moi a demandé au caissier de peser une tresse de cheveux qu’elle souhaitait vendre. Cette image m’a beaucoup touché et elle est restée avec moi pendant un certain temps. Il était clair que ce n’était pas quelqu’un qui voulait faire des affaires, mais plutôt un geste désespéré de quelqu’un risquant l’humiliation. De plus, les cheveux, souvent représentés dans l’histoire, la mythologie et la littérature comme un symbole de statut social, de féminité, de force, etc., étaient présents dans ce petit événement.

Comment avez-vous trouvé le bon équilibre entre la comédie et la cruauté dans votre histoire ?
Lorsqu’il s’agit de ce type d’histoires, il y a un très grand risque d’exagérer le tragique. Je voulais garder une certaine distance par rapport à la protagoniste, mais sans l’abandonner complètement. Comme le dit Chaplin, « la vie est une tragédie en gros plan, mais une comédie en plan large ». Parfois, un gros plan peut être véritablement obscène et cruel. Je suis très intéressé par le côté absurde des choses. Même une situation comme celle qui a déclenché toute cette histoire, en plus du drame, contient aussi beaucoup d’absurdités. Et ces absurdités sont devenues plus claires lorsque beaucoup de questions hypothétiques ont été posées : que se passerait-il si le supermarché n’était pas la première tentative, que se passerait-il s’il n’y avait pas d’électricité, et ainsi de suite.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre approche visuelle de la ville et de sa laideur ?
Nous avons un personnage qui est piégé par des objets et des publicités. Les objets qu’elle vend pour gagner sa vie et les publicités pour diverses méthodes de gagner de l’argent, vendant les fausses promesses de plus : plus d’argent, plus de plaisir, plus d’aventure, etc. La laideur de Bucarest a déjà été décrite, donc ce n’est pas quelque chose de nouveau. Et les publicités harcelantes sont partout aussi parce qu’il n’y a pas de loi pour réguler cela. Les prises de vue avec les panneaux lumineux de casino sont apparues plus tard dans le processus. Au départ, je les photographiais avec mon téléphone pour le plaisir et pour les publier sur mon Instagram. Certaines des juxtapositions sont vraiment drôles ou même cyniques. J’ai même pensé à les utiliser dans un autre projet de court métrage sur les publicités de jeux et paris. Mais au montage d’Alișveriș, j’ai réalisé qu’elles étaient mieux adaptées ici.

Comment avez-vous eu l’idée du point de vue façon « caméra de surveillance » sur le personnage principal ?
En plus de l’histoire de Tatiana, nous avons aussi d’autres petites histoires sur la lutte à différents niveaux. Tout le monde est un patron et un subordonné en même temps. Tout le monde regarde et est observé comme dans un panoptique. Comme l’a prévu Bentham, le pouvoir doit être visible et invérifiable. Nous ne savons jamais qui est vraiment derrière ces caméras, s’il y a quelqu’un ou pas du tout. En parlant de cruauté, je voulais qu’elle n’ait pas d’échappatoire, car après tout, comme le dit Foucault, « la visibilité est un piège ». Mais il y a aussi de la comédie et de l’absurde à avoir autant de caméras de surveillance dans une pâtisserie, par exemple.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou ceux qui vous inspirent ?
Eric Rohmer, Manoel de Oliveira, Luis Buñuel, Lois Weber, Alain Guiraudie, Marguerite Duras, Hong Sangsoo, Robert Bresson.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 mai 2025. Un grand merci à Ada Solomon.
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