Carrefour du Cinéma d’Animation | Entretien avec Valentina Homem

Présenté en compétition à la Semaine de la critique et cette semaine du Carrefour du cinéma d’animation, The Girl and the Pot est une fable d’animation déroutante et inventive. Dans un monde dystopique, une jeune fille pénètre dans un monde parallèle après avoir cassé un mystérieux vase en céramique. Ce court métrage est porté par une technique d’animation organique et particulièrement évocatrice, qui laisse une place précieuse à la rêverie. La réalisatrice brésilienne Valentina Homem est notre invitée.


Quel a été le point de départ de La Fille et le pot ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

Le film est basé sur une histoire que j’avais écrite en 2012, à l’époque où j’étais en train de finir mon Master. Il se trouve que j’avais passé les dix années précédentes à accumuler beaucoup de matériel vidéo, je possédais une mini caméra DV et je filmais tout ce que je pouvais. Or, l’un des exercices que je devais faire dans le cadre de mes études s’intitulait « performer sa propre personne » et je savais que je voulais utiliser mon matériel intime dans ce cadre. L’exercice a donc consisté pour moi à trouver un fil narratif parmi toutes ces choses que j’avais filmées, tous ces évènements qui avaient eu lieu dans ma vie. Il fallait que j’organise ces archives, et c’est en commençant à écrire que cette fable est née. Le film est donc basé sur quelque chose de très personnel, mais peu importent les évènements qui me sont arrivés et qui m’ont poussée à le faire, car ce récit est une parabole riche en symboles, il possède une dimension universelle qui fait que les gens peuvent s’identifier et être touchés.

A l’époque, le titre était Le Conte du néant, mais la structure était déjà la même : la fille possède un pot mais le détruit, le néant surgit du pot et elle commence à perdre ses propres contours. Elle fait alors le tour du monde pour récupérer les morceaux du pot, cherche un couvercle pour le refermer mais comme ce dernier est trop petit, elle tombe à l’intérieur du pot. Cette fable m’a servi de base pour plusieurs travaux au fil des ans, il y a eu par exemple une installation vidéo faite avec des projections sur des pots en céramique, puis en 2018 je me suis associée à deux amies pour créer une installation audiovisuelle immersive qui a été exposée dans un centre d’art à Rio pendant neuf semaines. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler sur le film.



La façon dont vous utilisez la peinture est très expressive, quelle technique d’animation avez-vous utilisée pour ce film ?

L’une des amies avec laquelle j’ai travaillé sur cette installation s’appelle Tati Bond, et c’est elle qui a signé l’animation de ce court métrage. Or il faut savoir que Tati n’avait jamais fait d’animation, mais c’est une artiste incroyable, et nous avons délibérément choisi un style très cru. Elle a développé un style de peinture sur verre si unique et personnel qu’il nous aurait été impossible de trouver quelqu’un qui puisse faire la même chose. Au final, il nous a fallu cinq ans pour faire ce film. Par exemple, la scène de menstruation a été animée il y a cinq ans, et on l’a intégrée dans le film telle quelle. En revanche, d’autres scènes ont été terminées l’an dernier, quand la technique de Tati s’était beaucoup fluidifiée. L’héroïne du film traverse un récit d’apprentissage et c’était important pour nous que ce processus soit aussi concrètement présent à travers le style d’animation. A la base, je souhaitais d’ailleurs qu’on fasse tout cela dans l’ordre chronologique. Finalement, cela n’a pas été exactement le cas, mais cela n’empêche pas que l’évolution de la technique se voie.



On entend dans le film la phrase suivante : « le futur doit être rêvé ». Que souhaitez-vous évoquer à travers cette formule ?

Au moment où j’ai commencé à travailler sur ce court métrage, j’étudiais les cosmologies indigènes ainsi que les plantes médicinales amazoniennes. J’ai fait plusieurs retraites en Amazonie, au Pérou. j’ai beaucoup lu mais j’ai aussi expérimenté avec des plantes rares et secrètes. Cela m’a ouvert les yeux sur la réalité de la forêt : il existe d’un côté une réalité spirituelle, celle qui fait que les indigènes ont un rapport particulier avec les êtres humains et autres créatures qui y habitent, et de l’autre côté les problèmes environnementaux liés au dérèglement climatique et à la déforestation. Je pense d’ailleurs que ce n’est pas une coïncidence si la toute première version de ce récit a été écrite le jour même où l’ouragan Sandy touchait la côte est des États-Unis.

Cela fait près de vingt ans que je m’intéresse aux sujets de l’anxiété climatique, de la mélancolie face à la destruction de la planète, ces concepts développés entre autres par le sociologue français Bruno Latour. J’ai également été marquée par des penseurs indigènes tels que Davi Kopenawa. Je ne suis pas une personne indigène, il était donc fondamental pour moi d’impliquer des personnes indigènes dans le processus de création du film. Mes recherches m’ont amenée à faire la connaissance de Francy Baniwa, une anthropologue passionnante. A l’époque où je l’ai rencontrée, elle était en train de retraduire des textes sur les cosmologies indigènes, qui jusqu’ici n’avaient été traduits que par des Blancs.

La phrase « l’avenir doit être rêvé » est une leçon fondamentale que j’ai apprise directement chez Davi Kopenawa. Cela vient de son célèbre livre La Chute du ciel, dont La Quinzaine des cinéastes a justement sélectionné une adaptation cette année. Cet ouvrage a eu une importance fondamentale dans notre projet, et à plus d’un titre. Kopenawa explique que les Indigènes rêvent de façon radicalement différente que les Occidentaux. Pour les cultures amérindiennes, le rêve est indissociable de la vie réelle. Les rêves sont aussi réels que la réalité, et ont beaucoup de choses à nous apprendre. Selon lui, les Blancs ne savent plus rêver à autre chose que des objets car ils sont obsédés par le monde matériel, et l’unique porte de sortie de cet enfer autodestructeur qui ruine la planète, c’est justement de réapprendre à rêver. Il faut rêver à un avenir alternatif afin que celui-ci puisse advenir. J’envisage d’ailleurs ce film comme un travail collectif de rêverie. Nous étions quatre femmes à la création du film, Tati Bond, Francy Baniwa, Nara Normande et moi-même, et nous avons rêvé ensemble.



Qui sont vos cinéastes de prédilection, ou qui vous inspirent le plus ?

Je ne peux pas vraiment dire que j’ai un cinéaste préféré, mais à chaque fois que je me lance dans un nouveau projet, je me crée un corpus particulier de films et d’œuvres diverses. En ce qui concerne l’animation, William Kentridge a certainement eu une grande influence sur moi, notamment dans la manière dont ses processus s’impriment dans son travail. Quant à la technique, Florence Miailhe était notre meilleure référence. Naomi Kawase est une cinéaste importante à mes yeux, en particulier ses premiers travaux documentaires auxquels je m’identifie beaucoup et qui sont toujours présents dans mon esprit lorsque je crée quelque chose. J’aime sa conception du cinéma en tant que création d’un espace unique où les choses peuvent enfin se produisent. Par ailleurs, je sors en juin mon premier long métrage, The Day Before, un récit dont le processus de création a été définitivement inspiré par John Cassavetes, et je démarre actuellement la préproduction d’un long métrage, un documentaire hybride qui s’inspire de la trilogie de la Lumière de Patricio Guzman.



Quelle est le dernier film que vous avez vu et qui vous a donné l’impression de voir quelque chose de nouveau, d’inédit ?

Il s’agit en fait d’un film d’un cinéaste reconnu : j’ai adoré Perfect Days de Win Wenders pour sa simplicité. Je suis franchement attirée par les récits simples, les films qui observent les détails de la vie quotidienne. Je pense que Win Wenders a accompli là quelque chose de vraiment incroyable et puissant.



Entretien réalisé le 23 mai 2024 par Gregory Coutaut et Nicolas Bardot.

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