Dévoilé au Festival de Cannes et à voir en salles dès maintenant, Viet and Nam est un récit ambitieux et mystérieux qui débute comme une romance gay pour finalement dresser le portrait onirique d’un pays encore hanté par les fantômes de son Histoire. Le cinéaste Truong Minh Quy est notre invité et nous en dit plus sur ce film déroutant qui n’obéit qu’à sa propre recette.
Avant de parler du contenu du film, je souhaiterais débuter par pour interroger sur son titre faussement simple. Que souhaitiez-vous qu’il évoque ?
Moi-même je ne suis pas certain (rires). Au-delà de la référence à mon pays, il faut savoir que Viet et Nam sont des prénoms masculins tout à fait courant au Vietnam. J’ai plusieurs amis qui s’appellent ainsi, c’est vraiment aussi courant que Pierre ou Antoine. Je souhaitais aussi faire un clin d’œil cinéphile à des films comme Jules et Jim ou Fanny et Alexandre. La particularité, c’est que les prénoms des deux protagonistes ne sont absolument jamais prononcés dans le film. Il y a bien une scène où ils sont sur le point de se présenter l’un à l’autre, mais j’ai fait en sorte que l’ascenseur dans lequel ils se trouvent descende juste à ce moment-là pour que leurs noms restent dans l’inconnu, pour qu’on ne sache pas qui est qui. Je voulais ne pas donner de réponse à la question « s’agit-il de l’histoire d’un pays ou seulement de l’histoire de deux personnages? « . C’est sans doute les deux à la fois. Ceci dit, de façon générale, je préfère que les spectateurs ne soient pas influencés par un titre. C’est pourquoi dans mes précédents films, le titre n’apparaissait à l’écran qu’au générique de fin, afin de pouvoir plonger dedans sans a priori.
Le titre fait également écho à la structure en deux partie du récit, et au fait que celui-ci est traversé par la question de la dualité. Aviez-vous cette structure clairement en tête dès le départ ou bien s’est-elle imposée progressivement ?
C’est quelque chose qui m’est venu au fil du montage. C’est à cette étape que je me suis aperçu que la structure initiale prévue par le scénario ne rendait effectivement pas vraiment justice à l’une des notions qui traverse le film : celle du miroir. Il y a deux protagonistes, le futur face au passé, ce qui se passe dans les mines face à ce qui se déroule en surface, l’ombre face à la lumière, etc.
Une autre source de dualité réside dans la manière dont le film passe d’un réalisme quasi-documentaire à une fiction proche des rêves et du surnaturel.
C’est vrai. Ce n’est pas la première fois que je travaille autour de ce mélange-là. Le documentaire représente l’Histoire, quelque chose de réel et qui possède un poids indéniable, et la fiction magique représente l’avenir, l’inconnu. Je trouve que le mélange de ces deux pôles génère des questions fascinantes. Je me rappelle de ma découverte de Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais, et de ce long passage scientifique sur les expériences psychologiques qui vient précéder la fiction. Je me souviens m’être dit au bout d’un moment que je n’étais même plus certain de savoir où se trouvait le documentaire et la fiction dans ce film. J’ai trouvé ce sentiment très stimulant.
Est-ce pour cela que vous démarrez Viet and Nam sous son jour le plus documentaire ?
Il y a un prologue fait d’images très symboliques de cendres qui tombent dans la pénombre. Je trouvais très important d’entrer dans le film avec un plan qui installe d’emblée une atmosphère particulière plutôt qu’un récit. Je crois que passé ce prologue, chaque spectateur sait à peu près à quel genre de film s’attendre (rires). C’est pour cela que je me permets d’enchainer avec des scènes plus austères. Cela peut donner l’impression que mon film est fragmenté mais en réalité je souhaiterais que les spectateurs réalisent que ces différents fragments se reflètent les uns les autres. On passe ainsi d’une relation entre deux hommes (deux amants) à une autre relation entre deux hommes (un père et son fils). On passe d’une histoire d’amour à l’histoire d’un pays.
Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur Son Doan pour traduire cela en termes d’images ?
Tout d’abord, je tenais absolument à filmer en format 16 mm afin de ne pas donner au film un aspect trop contemporain. L’action du film se déroule dans le passé, mais la date exacte n’est mentionnée qu’une seule fois dans le récit. Je voulais que des spectateurs qui ignorent tout du film puisse avoir l’impression qu’il date de cette époque-là, du tout début des années 2000. En même temps, je n’ai délibérément pas cherché à éviter à tout prix les anachronismes : j’avais bien conscience en filmant certains quartiers ou monuments que des spectateurs vietnamiens reconnaitraient qu’il s’agit de décors qui n’existaient pas tels quels à l’époque. Le passé n’est pas vraiment le passé, et le futur n’est pas vraiment le futur. Par ailleurs, je ne voulais pas utiliser trop de lumière. Je me rappelle avoir dit à Son Doan que je ne voulais pas de cette lumière hollywoodienne artificielle.
En parlant d’obscurité : toute une partie de film se déroule dans une mine. Avez-vous réellement tourné en profondeur ?
Non, pour toutes ces scènes-là nous avons construit un plateau, mais c’est vrai que nous l’avons construit dans une grotte ! Il s’agissait d’une grotte volcanique, c’est-à-dire que la lave y a formé des longs tunnels à la forme presque artificielle. Ils sont si droits qu’on dirait qu’ils ont été creusé par l’homme, c’était donc parfait pour ce qu’on cherchait.
L’équilibre du récit entre réalisme et rêverie se retrouve particulièrement dans le personnage du medium. Comment avez-vous appréhendé son écriture et son rôle dans le récit ?
Les mediums tels que celle-ci existent réellement et font partie de la vie au Vietnam mais est-ce que je crois ou non à leur pouvoir ? Sciemment, je ne réponds pas. Le plus important c’est de filmer à quel point cela importe pour les personnages : pour certains, faire appel à un medium est le seul moyen d’arrêter de se sentir coupable ou triste suite à la perte d’un être proche, il leur faut à tout prix chercher à retrouver un objet ayant appartenu au mort. Est-ce vrai ou non ? Bien sûr il y a beaucoup de charlatans mais peu importe, du moment que le symbole suffit pour permettre à une personne d’aller mieux. A l’époque où se déroule le film, on trouvait pas mal de médiums. J’ai regardé beaucoup de vidéos en ligne et chacun possédait son propre style, un peu comme des réalisateurs (rires), mais tous avaient pour point commun de performer de façon très théâtrale, allant parfois jusqu’à l’hystérie. Cela peut faire peur, cela peut donner envie de rire, mais en tout cas ça déstabilise.
Vous filmez beaucoup les paysages qui entourent les personnages, mais vous ne les magnifiez jamais artificiellement à la manière d’une carte postale.
Le film parle de quelqu’un qui est sur le départ, c’était important non seulement que l’on voie les paysages qu’il s’apprête à quitter, mais aussi que l’on en ressente la texture. La question du lien qui existe entre une personne et le territoire qui l’entoure traverse le film. A vrai dire elle était même très clairement abordée dans une scène que nous avons tournée mais finalement éliminée au montage car elle en disait justement trop : allongé par terre, le protagoniste s’imaginait comment son père a pu mourir dans une position similaire, il devait alors manger de la terre mais c’était vraiment trop terre à terre. Je cherche à comprendre les souvenirs des paysages que je filme. Chaque territoire possède sa mémoire, et parfois il s’agit de mauvais souvenirs. C’est parfois possible d’y échapper, et parfois non.
Le dénouement demeure ambigu parce qu’onirique mais il répond à ce problème de façon plutôt optimiste.
Vous êtes la première personne à me dire que le film est optimiste.
Il ne l’est pas ?
Si, mais tout le monde me dit que la fin est triste. Vous ne l’avez pas trouvée triste ?
Si, mais j’y ai vu aussi une sorte de libération.
C’est exact, mais personne ne l’a vue sous cet angle. A mes yeux la fin est pleine d’espoir car chacun a retrouvé le territoire auquel il appartient vraiment, tout rentre à sa place d’une certaine manière.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 17 septembre 2024. Un grand merci à Matilde Incerti et Thomas Chanu Lambert.
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