Prix du jury et du public au Festival du Film d’Animation d’Annecy, Weekends vient de récolter une nomination à l’Oscar du meilleur court métrage d’animation. Son réalisateur, le Canadien Trevor Jimenez, sera t-il primé fin février ? Passé par Pixar, Jimenez signe un mélange délicat entre tendresse et amertume dans sa description muette des angoisses d’un garçon ballotté entre ses deux parents divorcés. Il est notre invité de ce Lundi Découverte.
Quel a été le point de départ de Weekends ?
Après avoir fait une école d’animation il y a 10 ans, j’ai dessiné l’image d’un enfant allant de la maison de sa mère à la voiture de son père. Cette image venait d’un souvenir personnel et je l’ai postée en ligne. Elle a suscité plus de réactions que tout ce que j’avais pu poster sur mon blog, les gens partageaient même leurs expériences sur leurs parents divorcés dans la section dédiée aux commentaires. J’ai été vraiment ému par ces réactions et j’ai senti que cela valait le coup de partager ma propre expérience et d’ouvrir le dialogue. Je n’avais pas vu de film d’animation traitant de ce thème, ce qui m’a encouragé à faire un film sur le divorce à partir de mes souvenirs d’enfance, mais du point de vue d’un petit enfant.
Pourquoi avoir choisi ce type d’animation pour raconter cette histoire ?
J’ai eu très tôt beaucoup d’influences, comme la mise en scène de films tels que Yi Yi d’Edward Yang, ou Father & Daughter de Michael Dudok de Wit. J’ai aussi pensé à des photographies et des peintures qui ont un aspect vague, impressionniste. Mais c’est vraiment Chris Sasaki qui a défini le look final du film. Après avoir expérimenté différents styles, il a pris un dessin au fusain que j’ai fait de la chambre à coucher de l’enfant et a trouvé un style de peinture aux couleurs étouffées, avec plein de textures, pour donner au film un aspect « fait à la main« . Il a été très inspiré par le travail de Christophe Blain et par le photographe japonais Masataka Nakano.
Il a vraiment insisté pour utiliser mon style de dessins au fusain pour chacun des backgrounds, un peu comme si je posais mon emprunte digitale sur cette histoire intime. Alors j’ai dessiné tous ces décors à la main d’abord, puis Chris et son équipe d’artistes les ont peints dans le style qu’il a développé. D’une manière générale, nous voulions tous un look à la main, impressionniste, aux couleurs feutrées qui évoque des sentiments enfantins.
Qu’avez-vous appris de votre expérience chez Pixar et qui vous aurait servi sur ce projet ?
J’ai appris auprès de beaucoup de grands cinéastes qui ont tous un instinct très fort, avec des qualités et des méthodes de travail différentes. Au-delà des aspects purement techniques, il me semble très important d’embrasser sa propre méthode de travail – qui pour moi est très itérative et bordélique ! Et puis il y a des choses qui sont difficiles à enseigner, comme le fait de croire à ses instincts. Cela aide beaucoup d’être entouré de cinéastes qui font des films avec cet instinct de passionnés.
Comment avez-vous trouvé l’équilibre idéal pour exprimer l’angoisse des personnages d’une manière douce et nostalgique ?
Je me suis appuyé sur un groupe d’amis pendant le montage du film qui a pris 4 ans. Ils m’ont tous apporté un soutien indéfectible et m’ont fourni des retours durant cette longue période. J’avais beaucoup de souvenirs à résumer et écrire, beaucoup de détails qui émotionnellement étaient clairs pour moi mais peut-être pas pour les autres. Mes amis m’ont vraiment aidé à identifier les moments personnels qui avaient une résonance et ceux qui en avaient moins. Cette perspective extérieure m’a vraiment aidé à couper ce qu’il y avait en trop.
Je pense qu’une grande partie de l’émotion vient aussi de la musique – qui est vraiment liée à ma propre enfance et qui m’émeut beaucoup quand je l’entends. Ne pas avoir de dialogue m’a vraiment forcé à adopter un certain style de réalisation plus sobre, et je pense que le concepteur sonore et le mixeur qui ont travaillé sur ce film méritent beaucoup de louanges pour avoir créé une atmosphère qui semble authentique et vécue.
Quels sont vos cinéastes favoris ?
C’est très dur de choisir mais je vais en nommer quelques uns ! Je dirais Edward Yang et Michael Dudok De Wit que j’ai déjà mentionnés. J’adore pratiquement tous les films de Hirokazu Kore-Eda et Mike Leigh. David Lynch, Mike Mills, P.T. Anderson, Noah Baumbach, Bong Joon Ho, les frères Coens, Spike Jonze, Hiro Murai et Andrea Arnold sont aussi de grandes influences. J’adore tellement de films, c’est très dur de me limiter juste à quelques cinéastes.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf au cinéma, de découvrir un nouveau talent ?
Minding the Gap de Bing Liu m’a époustouflé de bien des façons et a touché une corde très sensible en moi. Je suis très curieux de voir ce qu’il fera ensuite.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 6 septembre 2018.
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