Découverte l’an passé au Festival de Karlovy Vary, la réalisatrice chypriote Tonia Mishiali figurait en compétition du dernier Transilvania Film Festival que vous avez pu suivre en direct sur Le Polyester. Son premier long métrage, Pause, est la tragicomédie d’une femme prise au piège des marécages d’une société patriarcale où elle est traitée comme un meuble. Tonia Mishiali fait preuve d’une habileté prometteuse dans sa façon de varier les tons, du pathétiquement drôle au rire jaune. Elle est notre invitée de ce Lundi Découverte.
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Quel a été le point de départ de Pause ?
J’ai toujours été sensible aux problèmes des femmes et notamment à l’égalité. Par ailleurs, cela m’intéressait beaucoup d’explorer la relation déclinante d’un couple marié. J’ai été inspirée par des images qui étaient imprimées dans mon esprit et des choses auxquelles j’ai assisté en grandissant à Chypre, dans une société patriarcale. Je voyais des femmes qui vivaient comme si elles étaient sur la touche, et dont la principale raison d’être est de tenir leur rôle d’épouse et de mère. Par conséquent, je voulais faire un film à travers le prisme complexe et fascinant de la nature féminine, sur la perte de sa propre voix, sur l’envie d’amour et les désirs insatisfaits.
A une époque où les femmes au cinéma sont mal représentées, je souhaitais également que le film décrive un personnage féminin très réaliste. L’héroïne est assez inédite en termes de cinéma. Elle est passive et soumise, et pourtant elle porte toujours en elle un espoir et une liberté. Elle a été créée en réaction à mon besoin de montrer la position qu’occupent beaucoup de femmes dans notre société et comment elles font avec le patriarcat. La passivité des femmes est quelque chose qui m’a tellement interpellée que je voulais montrer la réalité de la vie quotidienne de ces femmes, et entrer dans leur véritable monde intérieur. Elpida a été inspirée par les femmes de ma famille, dans mon quartier, autour de moi. Elle est ma grand-mère, ma tante, ma mère, ma cousine, ma voisine, mon amie…
La première scène de Pause raconte quelque chose de terrible… mais c’est pourtant une scène de comédie. Le film entier est à la fois drôle et tragique. Comment avez-vous travaillé sur cet équilibre lors de l’écriture et en dirigeant votre actrice, Stella Fyrogeni ?
Trouver l’équilibre entre la comédie et le drame n’a pas été facile. Il y avait un peu plus de scènes comiques dans le script que j’ai fini par couper lors du montage. Car je sentais que j’étais en équilibre sur un fil et qu’il fallait faire bien attention. Je crois que j’ai conservé ce qu’il fallait. Avec Stella, on a beaucoup parlé du personnage et de l’histoire avant le début du tournage ; par conséquent le ton du film était très clair pour elle. Elle a tout joué de façon dramatique et la comédie venait davantage des situations elles-mêmes.
Comment avez-vous envisagé le style visuel du film avec votre directeur de la photographie, Yorgos Rahmatoulin ?
La photographie et l’esthétique générale du film ont été définies dès le départ du projet. Avec mon directeur de la photographie, nous avons beaucoup parlé du style et de l’esthétique durant la pré-production, et nous avons suivi ces décisions. Les couleurs en particulier ont été choisies très en amont en collaboration avec notre décoratrice. Par exemple les reflets bleus devaient exprimer la platitude et la routine de la vie du personnage principal et en même temps montrer qu’elle est bloquée, qu’elle fait partie de la maison au même titre que les meubles.
Le décor du film participe activement au récit comme un miroir de la psychologie de l’héroïne. C’était une décision très consciente d’utiliser une caméra à l’épaule afin qu’elle se déplace comme une extension du personnage principal. La caméra ne bougeait pas à moins que la protagoniste ne se déplace en « traînant » la caméra derrière elle, ou se déplace avec elle. Le public ne devait voir que ce qu’elle voit. Il n’y a pas de plan sans Elpida aux alentours. De cette façon, je voulais que le public plonge dans son monde intérieur et entre dans ses chaussures autant que possible. Cependant, essayer de filmer de cette façon a été très difficile. J’ai dû faire de longues prises et chorégraphier soigneusement et précisément chaque scène avec la caméra et les acteurs. Et parce que ce film est à petit budget, je ne pouvais pas faire cela sur le plateau, donc nous avons passé de nombreuses heures à répéter ces scènes avec mon directeur de la photographie et mes acteurs pendant la pré-production.
Quels sont vos réalisateurs favoris et/ou qui vous inspirent ?
Oh là là, il y en a beaucoup. J’ai été inspirée par Lynne Ramsay, Claire Denis, Agnès Varda, Pedro Almodovar, Darren Aronofsky, Chantal Akerman, Andrea Arnold, Sofia Coppola, Catherine Breillat – et pas nécessairement dans cet ordre.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je ressens cela tous les jours !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 juin 2019.
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