Christopher at Sea raconte l’histoire d’un jeune homme qui embarque sur un cargo en tant que passager. Sélectionné à la Mostra de Venise, Sundance et présélectionné pour le César du meilleur court métrage, ce court métrage visuellement flamboyant est traversé par une puissante tension érotique. Christopher at Sea est visible librement sur le site d’Arte. Son réalisateur, le Britannique Tom CJ Brown, nous en dit davantage sur cette pépite.
Quel a été le point de départ de Christopher at Sea ?
J’ai toujours voulu écrire une histoire d’amour, et quand Michael Fukushima de l’Office national du film du Canada a publié un article concernant une résidence d’artiste sur un cargo, j’ai su que j’avais trouvé le cadre parfait et extraordinaire pour Christopher at Sea. J’ai embarqué sur un cargo allant de Southampton au Royaume-Uni à New York en 21 jours en mer, et j’ai utilisé le voyage comme résidence d’écriture pour apporter un élément de réalisme au mélodrame de mes fantasmes sur la vie à bord. Bien que j’aie entrepris d’écrire une histoire d’amour, la romance de Christopher s’est rapidement entrelacée avec ma propre histoire de lutte contre mon identité, de découverte de ma vérité et de récit dramatisé des douches communes dans une auberge de jeunesse à Sundance.
Il y a une forte tension érotique dans votre film, comment avez-vous procédé pour la traduire visuellement ?
Mort à Venise de Luchino Visconti est porté par une grande tension érotique et j’adore la façon dont celle-ci est transmise par les regards emplis de désir de Dirk Bogarde. Un chant d’amour de Jean Genet crée une tension érotique d’une manière plus explicite, et honnêtement il n’y a rien de plus excitant que quelqu’un qui vous souffle de la fumée dans la bouche à travers un trou dans le mur, donc ces deux films ont été mon point de départ.
L’un des grands moments de tension érotique entre Christopher et Valentin se situe dans les douches communes du bateau où ils se retrouvent, alors que le navire bascule dans des eaux agitées, et que la mousse de savon venant de la douche de Valentin s’écoule jusqu’à celle occupée par Christopher. Cela donne à Christopher l’occasion de se livrer à ses désirs, sans que lui et Valentin ne soient physiquement ensemble, et ce moment sert de point de non-retour pour lui.
Plus tard, lors des séquences fantastiques et le dénouement, j’ai utilisé beaucoup de références pour l’animation: la photographie de Matt Lambert, David Hockney, Jean Cocteau et les peintures et illustrations de John Singer Sargent, ainsi que les sculptures de la Renaissance du Bernin, Pio Fedi et Giambologna.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la dimension musicale de Christopher at Sea ?
Je suis devenu obsédé par l’opéra en 2017 après avoir cherché sur Google le cargo sur lequel j’allais me rendre et qui s’appelait La Traviata. J’ai passé de nombreuses soirées à bord à écouter les tristes remous du prélude de l’acte 3 de La Traviata et à regarder le coucher du soleil (une véritable ambiance). En 2020, nous commencions à passer à la production et je cherchais un moyen de rendre le film pertinent pour celui que j’étais, en tant que réalisateur, 5 ans après la première ébauche du scénario. Au début de la pandémie, j’écoutais de manière obsessionnelle Die Schöne Müllerin de Schubert et après avoir lu le livret, j’ai réalisé que cette histoire d’un compagnon solitaire découvrant un moulin et qui tombe amoureux – et sans succès – de la fille des meuniers avait de nombreux parallèles avec le voyage de Christopher. En utilisant cette musique, j’ai pu donner une voix aux émotions tacites de Christopher.
La musique utilise un leitmotiv pour les meuniers que j’ai réutilisé pour l’océan, et le cycle se termine par une berceuse chantée par le ruisseau au compagnon. Bien que Die Schöne Müllerin soit une histoire tragique, Schubert a composé cette dernière chanson en mi majeur – une signature clé utilisée dans les années 1800 pour connoter de bruyants cris de joie, de rire et de plaisir ; on disait que le plaisir réside dans le mi majeur. Schubert a écrit cette dernière chanson pour donner de l’espoir et élever le public à la fin du cycle, et c’est aussi quelque chose que je voulais faire.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Maurice de James Ivory, My Beautiful Laundrette de Stephen Frears et Pink Narcissus de James Bidgood sont des films qui m’ont tous inspiré pendant la préparation de Christopher at Sea. Je me suis également penché sur des films queer qui dépeignent des espaces exclusivement masculins comme L’Inconnu du lac de Alain Guiraudie, ou les films de Fassbinder ou Genet. Mais ma préférence absolue va à Visconti, dont les films comme Mort à Venise, Senso ou Le Guépard définissent tous la forme de réalisme mélodramatique qui caractérise Christopher at Sea. Le réalisme mélodramatique crée une tension entre le « réel » et une version exacerbée du « réel » – une version qui amplifie la réalité pour mieux exprimer l’émotion… tout comme l’opéra !
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je suis programmateur pour le GLAS Animation Festival, par conséquent chaque année j’ai le privilège de voir tous les films soumis au festival, ce qui me permet de découvrir des animateurs et des cinéastes avec qui collaborer. L’année dernière, j’ai adoré Bestia de Hugo Covarrubias ainsi que Ciervo et Colony de Pilar Garcia-Fernandezsesma, à qui j’ai confié la colorimétrie de Christopher at Sea. En dehors de l’animation, pour trouver l’inspiration, je vais à l’Opéra et je fais de la randonnée dans les collines du Peak District lorsque je rends visite à ma famille au Royaume-Uni.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 4 septembre 2022. Un grand merci à Luce Grosjean.
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