Membre du jury cette semaine au Festival de San Sebastian, la Danoise Tea Lindeburg avait vu son premier long métrage, La Dernière nuit de Lise Broholm, doublement primé à l’édition 2021 (mise en scène et actrice). Ce formidable film, en salles ce mercredi 21 septembre, raconte les quelques heures où la vie d’une jeune femme va basculer tandis que sa mère se prépare à accoucher. Ce drame tresse avec succès les métaphores fantastiques et son sens de la mise en scène est prometteur. Tea Lindeburg est notre invitée.
Quel a été le point de départ de La Dernière nuit de Lise Broholm ?
J’ai lu le livre En dødsnat (traduit en anglais par A Night of Death) que Marie Bregendahl a écrit en 1912 ; c’était juste après le moment où j’ai donné naissance à mon fils. J’ai tout de suite su que je devais en faire un film. Ça m’a vraiment parlé, tout simplement. La première chose, c’était la naissance elle-même, comment celle-ci pouvait servir de moteur au film et à sa mise en scène. C’était passionnant, j’ai eu l’impression de n’avoir jamais lu cela auparavant. L’autre élément, c’était les enfants, dépeints comme s’ils n’étaient que spectateurs d’une catastrophe sur le point de leur arriver et incapables de faire quoi que ce soit !
La première image qui m’est venue était Lise marchant dans ce champ de maïs, ramassant un chardon et regardant ensuite comment les graines délicates se transforment en un nuage sanglant. Cette image n’est pas dans le livre, mais pour moi, c’était l’essence de l’histoire. Et à partir de cette image, tout a grandi. Comme une toile d’araignée, j’ai juste commencé à tirer vers une extrémité.
Il y a une tension fantastique qui est parfois proche de l’horreur dans votre film. Comment avez-vous décidé d’utiliser cela pour raconter cette histoire ?
Eh bien c’est un film d’horreur ! C’est juste que le monstre dans La Dernière nuit de Lise Broholm n’est ni une créature horrifique, ni un tueur en série, mais la vie et son absence de sens. La peur de la mort de la mère est le monstre, c’est ce qui hante Lise ainsi que ses frères et sœurs. C’est aussi la perte de l’enfance, de l’innocence et de la foi. Et ce sont les peurs et la culpabilité de Lise qui dirigent le film.
Dans le livre, Lise n’est pas le personnage principal à proprement parler, c’est une voix omnisciente qui raconte l’histoire de tous les personnages. J’ai su que nous devions être dans l’esprit de Lise, car c’est là que se situe le drame, les émotions, la tension. Pour faire ressortir cette tension et ce sentiment d’horreur, nous avons beaucoup travaillé avec le son, qui souvent n’est pas réaliste mais c’est la façon dont Lise perçoit les situations, ce sont ses émotions.
Comment avez-vous travaillé formellement sur l’aspect claustrophobe et oppressant de l’atmosphère dans votre film ?
Marcel Zyskind, notre directeur de la photographie, et moi-même étions convaincu.e.s dès le départ que le film devait être tourné sur pellicule. Il y a une sensibilité sur pellicule qui est incomparable par rapport au numérique. Et puis cette histoire réclamait l’utilisation de la pellicule ! Nous avons discuté des différents formats et nous avons opté pour le Super16. Nous aimions tous les deux sa granulosité. L’histoire ne fait qu’un avec l’état d’esprit de Lise, nous avons par conséquent décidé de la filmer essentiellement caméra à l’épaule. Nous voulions nous sentir proches d’elle. Tout le temps.
Les seules fois où nous avons utilisé une caméra fixe, c’était lorsque nous travaillions avec le temps. Nous voulions transmettre le sentiment que le temps était comme arrêté. Que les personnages y étaient piégés. Nous avons beaucoup travaillé avec des plans rapprochés, avec des personnages encadrés par leur environnement (c’est-à-dire des portes, des fenêtres ou des arbres), pour souligner le sentiment que ces humains sont coincés dans cette situation. Et qu’ils ne peuvent pas s’en sortir, peu importe combien ils essayaient et espèrent.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Je suis toujours inspirée par les films qui savent raconter leur histoire visuellement. Des films qui brisent les règles, les frontières et la tradition. Je préférerais toujours voir un film qui expérimente et peut-être échoue plutôt qu’un film qui est juste solide et correct. Découvrir les cinéastes français de la Nouvelle Vague, en particulier Godard, Resnais, Demi et Varda à l’adolescence, m’a époustouflée. Ça a tout changé pour moi. Mais j’ai aussi toujours aimé Bergman, Antonioni et Polanski.
Quand j’ai l’impression que quelqu’un veut vraiment me raconter une histoire, à sa manière, dans son propre ton et que je peux sentir la voix derrière le film, c’est là que ça éveille ma curiosité et mon esprit. Ce sont les cinéastes et les films dont je tombe amoureuse et que je garde en moi.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de différent, de découvrir un nouveau talent ?
Mmmmh question difficile. J’ai plutôt tendance à voir des anciens films, et à lire des nouveaux auteurs qu’à voir de nouveaux films (rires). Mais ça doit changer, je tiens le covid comme responsable ! Je suis justement jurée au Festival de San Sebastian et je suis très excitée à l’idée de voir 17 nouveaux films ces 10 prochains jours. Là, je pourrai répondre à votre question !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 16 septembre 2022. Un grand merci à Agnès Chabot. Crédit portrait : Álex Abril San.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |