Sélectionné à Busan et à la Berlinale, The Red Phallus est le premier long métrage du Bhoutanais Tashi Gyeltshen. Ce film raconte l’enfer d’une jeune fille prisonnière d’une société patriarcale, au cœur d’un décor bhoutanais qui pourtant ressemble au paradis. Voilà un conte prometteur et d’une extrême élégance. Tashi Gyeltshen est notre invité de ce Lundi Découverte.
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Quel a été le point de départ de The Red Phallus ?
Je suppose que le film vient de la nature paradoxale propre à tout être humain. On croit que chacun naît avec cette graine de bodhicitta, cette capacité à atteindre l’illumination. Et puis les gens peuvent devenir des meurtriers, des violeurs, commettre des crimes horribles. C’est parfois plus plausible que d’atteindre réellement l’éveil spirituel ! Je me demande comment ces deux extrêmes sont possibles chez l’être humain. Une mère ne donne pas naissance à un meurtrier. Chaque enfant entre en ce monde telle une incarnation de l’espoir, de l’émerveillement, de la paix, avec de nobles aspirations. Qu’est-ce qu’on a pu faire pour en arriver là ? Le film est une question que je me pose. Je pense que chaque film devrait commencer avec une grande question philosophique, tellement grande qu’on ne peut pas en avoir la réponse. L’important n’est pas forcément d’avoir la réponse.
The Red Phallus raconte l’histoire très particulière d’une jeune fille dans une vallée isolée du Bhoutan. Mais dans quelle mesure diriez-vous que cette histoire de patriarcat et de masculinité toxiques est universelle ?
Le contexte dans lequel se déroule le récit peut varier légèrement en raison de la situation culturelle, religieuse, politique et sociale, mais il est universel car les émotions et les sentiments fondamentaux sont les mêmes. Le phallus ici est un symbole du patriarcat et de la décadence de l’humanité. Nous saignons de la même manière, nous ressentons l’oppression et la liberté de la même manière.
The Red Phallus est magnifique. Comment avez-vous travaillé sur le style visuel avec votre chef opérateur, Jigme T. Tenzing?
Merci ! Nous avons eu une longue discussion et avons visité le lieu de tournage plusieurs fois. Je l’ai personnellement visité environ 15 fois. Esthétiquement, l’idée de The Red Phallus était de montrer à quel point la vie peut être vide et d’une belle tristesse, alors même que nous cherchons le sens de la vie. Le récit est presque une excuse, une façade, comme un masque. Nous avons donc décidé qu’il y aurait beaucoup de plans larges et vides et que la violence serait cachée sous le calme et la beauté du paysage. Nous avons également montré beaucoup d’espaces silencieux pour symboliser les silences des victimes. Cela avait du sens de confronter les personnages à ces paysages. Nous voulions que tout dans le film soit perdu dans ce vaste paysage vide. Même le récit. La honte, comme le pouvoir, a besoin d’un masque.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Il y en a un certain nombre de par le monde mais pour en citer quelques uns, je dirais Yasujiro Ozu, Andrei Tarkovski, Federico Fellini, Ingmar Bergman, Theo Angelopoulos. Et parmi les vivants, je citerais Apichatpong Weerasethakul, Roy Andersson, Pedro Costa et Bela Tarr.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je suppose que ce sentiment est toujours là. Toujours présent. Être créatif, c’est détruire l’ancien, du moins son idée, et avoir le courage et la vanité d’accepter le nouveau.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 13 mars 2019.
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