No Táxi do Jack était l’une des très belles surprises l’an passé à la Berlinale. La Portugaise Susana Nobre raconte l’histoire de Joaquim, un homme haut en couleur qui approche de la retraite au Portugal mais qui a roulé sa bosse outre-Atlantique dans les années 70. Nobre réalise un portrait à la fois documentaire et romanesque et qui, avec finesse et empathie, évite le pittoresque. No Táxi do Jack fait partie d’un focus dédié au cinéma portugais cette semaine au Festival de La Rochelle. Susana Nobre est notre invitée.
Quel a été le point de départ de No Táxi do Jack ?
Notre relation. J’ai rencontré Joaquim quand j’ai travaillé sur un programme d’éducation pour adultes, au moment de la crise économique de 2008 qui a eu un fort impact social. Les histoires qu’il m’a racontées sur sa vie en Amérique, ses origines, sa façon de conduire sa vie… Son esprit d’entreprise touche principalement à l’usage du monde et à l’exercice de la liberté. Et puis il y avait aussi l’envie de faire un film qui relierait la petite ville de Alhandra et l’Amérique.
Joaquim partage ses souvenirs des années 70 et 80, et visuellement, No Táxi do Jack ressemble à un film américain de cette époque. Qu’est-ce que vous souhaitiez transmettre par cette approche formelle ?
Joaquim a importé ce style à son retour d’Amérique; c’était assez courant dans les communautés d’émigrants. C’est quelque chose qu’il garde de ces temps en Amérique, cela le protège d’une certaine image du vieillissement qu’il veut retarder. Pour le film, cela lui donne un semblant d’intemporalité; comme s’il était en orbite à traverser différents temps et espaces en tant qu’observateur, comme quelqu’un qui serait un peu hors de la vie pour mieux la comprendre.
No Táxi do Jack parle du passé mais c’est aussi un film qui parvient à parler du présent. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce paradoxe ?
Oui, je pense que vous avez raison : à travers la voix de Joaquim nous entendons les histoires sur les chutes successives de la bourse de Wall Street, nous réalisons qu’il passait sa vie de crise en crise et comment ces crises ont affecté sa vie – comme nous tous. Sous les pieds de Joaquim, il y a d’immenses morceaux d’histoire qui ne peuvent être séparés avec aujourd’hui. Ce sont les réseaux d’une transmission historique, pour reprendre dans un autre contexte les termes politiques de Mamadou Ba (un activiste politique portugais) sur le racisme.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
La constellation de films que je peux invoquer pour No Táxi do Jack sont Route One de Robert Kramer, Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman, Alenka de Boris Barnet, Au loin s’en vont les nuages d’Aki Kaurismaki, Non, ou la vaine gloire de commander de Manoel de Oliveira, Belarmino de Fernando Lopes et un peu de Scorsese bien sûr.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
J’ai beaucoup aimé Senses de Ryusuke Hamaguchi. C’est un film de 2015 mais j’ai vu récemment. Je citerais aussi les films de Martin Rejtman (Magic Gloves, c’est super!), et le cinéma argentin qui en général est très vivant.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 mars 2021. Un grand merci à Gloria Zerbinati.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |