Entretien avec Su Hui-Yu

Dans The Women’s Revenge, l’artiste Su Hui-Yu filme des jeunes femmes qui déambulent glorieusement dans la rue avant d’aller casser la gueule à des mecs. Le court métrage, rempli de visions fascinantes et hypnotiques, navigue entre hommage cinéphile à la sexploitation, film politico-punk et jeu de rôle de CFNM. Su Hui-Yu est notre invité de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de The Women’s Revenge ?

J’ai eu l’idée il y a quelques années, probablement en 2018 quand j’ai terminé mon film précédent The Glamorous Boys of Tang. L’idée sur laquelle je travaille actuellement, c’est de revisiter et de filmer en m’inspirant de films qui ont été interdits, mal compris ou censurés dans le passé, ou ceux qui étaient trop progressistes à l’époque de la loi martiale. Après The Glamorous Boys of Tang, j’ai essayé de me recentrer davantage sur les films des années 80, en particulier des films créatifs mais qui partent peut-être dans tous les sens. Les longs métrages d’exploitation centrés sur des personnages féminins étaient ce genre de films. Au printemps 2020, nous avons commencé le processus de pré-production.

Quelle différence feriez-vous entre le fait de montrer votre film dans un festival de cinéma ou en tant qu’installation dans une galerie ?

Le cinéma expérimental et l’art vidéo avaient leur propre circuit au siècle dernier, mais aujourd’hui la technologie a effacé la frontière des médias. Ils sont pour la plupart numérisés désormais, la nouvelle génération a aussi sa propre façon de visionner des œuvres. Les amateurs d’art et le public du cinéma se chevauchent maintenant, et pour moi c’est un mouvement qui nous pousse à nous affranchir des définitions. La galerie est comme un cube, les déplacements des spectateurs et le mouvement des images font partie du processus de manière à la fois évidente et importante. D’autre part, si le cinéma est plus classique, la nouvelle technologie le rend plus immersif qu’avant, donc la définition du corps et du fait de regarder une œuvre est également redessinée. Il est difficile de dire qu’il y a une différence évidente, pour moi, c’est un beau voyage de voyager autour de ces deux champs.

Votre film peut être vu à la fois comme un hommage cinéphile, une allégorie politico-féministe, comme un jeu de rôles kinky. Cette indécision fait partie du caractère ludique et séduisant de The Women’s Revenge. Dans quelle mesure cette ambiguïté faisait partie de votre processus créatif ?

L’ambiguïté ou les éléments contradictoires créent des espaces mentaux chez les spectateurs, l’aspect ludique et séduisant aussi, ces méthodes me permettent de développer une interface qui aspire le regard du public. Ils sont ensuite invités au voyage historique, même s’ils ne savent encore rien du contexte. C’est une invitation à rejoindre mes souvenirs personnels et nos mémoires collectives.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Il y en a tellement ! David Lynch (bien sûr !), Derek Jarman, Alejandro Jodorowsky (La Montagne sacrée), Satoshi Kon (Paprika) et Edward Yang (Yi Yi), ainsi que Stan Dogolas qui est davantage considéré comme un vidéaste. En ce qui concerne l’inspiration, j’ai été tellement fasciné par Y a-t-il un pilote dans l’avion ? que mon prochain film sera totalement inspiré par cette comédie. C’est un film avec une forme d’humour très conceptuelle.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Récemment, nous avons fait une performance expérimentale intéressante. L’artiste Cheng Hsienyu et moi-même avons développé un programme complexe qui peut contrôler les informations contenues dans un téléphone. Nous nous sommes servi de cette base pour faire une performance avec de la réalité augmentée, un streaming en direct et une installation. Le public qui participait au spectacle était invité à utiliser une appli particulière de son smartphone pour filmer la performance. Avec des effets en réalité augmentée, le tout diffusé en direct. Pour nous, c’était comme si nous avions fait quelque chose d’un peu fou, qui approcherait ce qu’on peut considérer comme le « futur du cinéma ». Voici cette performance diffusée sur Facebook.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 10 avril 2021.

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