Entretien avec Sophie Littman

Sélectionné au dernier Festival de Cannes, Sudden Light de la Britannique Sophie Littman raconte l’histoire de deux sœurs qui promènent leur chien dans des champs près de chez elles. Mais la silhouette d’un homme mystérieux apparaît et le paysage semble peu à peu les piéger… Littman, dont le court métrage a été montré en première française à La Roche-sur-Yon, fait preuve d’un talent très prometteur pour mettre en scène l’angoisse et l’étrange. Elle est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ pour Sudden Light ?

Je voulais faire un film sur le deuil, ou plus exactement sur l’anticipation du deuil, cette sensation d’être momentanément prisonnière de ces limbes angoissantes qui précèdent la mort de quelqu’un. La retranscription physique d’éléments psychologiques, voilà ce qui me passionne, et c’est qui a donné lieu à cette idée d’un paysage labyrinthique et toujours en mouvement, même si ce dernier point me trottait déjà en tête depuis quelque temps. En parallèle, j’avais en tête cette image de deux jeunes filles en promenade, et l’idée que les spectateur qui les suivrait recevrait des informations étape par étape, au fil de de leur parcours physique. Ces idées ont fini par s’amalgamer assez simplement, je dois dire.

Les décors, la nature jouent un rôle crucial dans votre film. Que vouliez-vous transmettre à travers eux ?

Dès le départ je souhaitais privilégier des lieux possédant quelque chose de fantasmagorique. L’idée étant que plus Mia (la grande sœur) s’éloigne du chemin principal, plus la frontière devient floue entre les événements extérieurs dont elle est témoin et ses tourments intérieurs. Je voulais donner l’impression de tomber sous hypnose dans un puits sans fond. Les deux filles devaient se sentir complètement isolées, ces collines vallonnées étaient donc idéales, de même que ces arbres menaçants à l’orée du bois.Elles essaient en vain de retourner sur le chemin principal, et donc de retrouver la « normalité » mais les paysages devaient donner l’impression d’agir contre elles, de chercher volontairement à les égarer. A mesure qu’elles s’épuisent à tourner en rond, la peur et le sentiment de menace augmentent. D’abord censée être une ligne droite d’un point à un autre, leur promenade se transforme en spirale infernale.

La tension étrange dans votre film vient en partie de l’histoire mais surtout de la façon dont elle est racontée visuellement. Comment avez-vous envisagé la mise en scène de Sudden Light ?

Je voulais donner l’impression que la réalité nous glisse progressivement entre les doigts. Le style visuel devait donc obéir au ton mi-rêveur mi-cauchemardesque que nous cherchions à atteindre. Ce n’est donc pas très différent de la façon dont on a choisi les lieux, j’imagine. J’ai vraiment eu de la chance de travailler avec le brillant chef-opérateur Nick Morris, qui a donné au 16mm l’aspect particulièrement poétique qu’il a dans le film, ainsi qu’avec la fantastique cheffe décoratrice Kat Black. Sans vouloir me jeter des fleurs, nous avons également fait un impressionnant travail de montage, avec toujours à l’esprit l’idée que ce que l’on voyait ne devait pas nécessairement refléter ce que Mia avait en face des yeux mais plutôt ce qu’elle ressentait. C’est quelque chose qui a énormément influencé le style visuel du film.

Dans quelle mesure diriez-vous que l’atmosphère fantastique de Sudden Light est un bon outil pour raconter une histoire aussi intime et sensible ?

Mais se sentir impuissante face à des événements bouleversants, c’est terrifiant. L’idée de perdre ses proches, c’est terrifiant. L’idée de se retrouver incapable de prendre soin de son petit frère ou sa petite sœur, c’est d’une angoisse folle. Le langage du cinéma d’horreur me semblait donc parfaitement idéal pour leur donner chair !

Quel.le.s sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Sans surprise, et comme beaucoup de gens, je suis une immense fan de Tarkovski et Lynch. Si je devais me résoudre à faire un top 5, j’y inclurais (en plus des deux que je viens de citer) Lucrecia Martel, Krzysztof Kieslowski, Alain Resnais, Charlie Kaufman and Alice Rohrwacher.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 28 janvier 2021.

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