Just a Guy fait partie de l’excellente anthologie de courts métrages Plan cul la praline actuellement en salles. « Just a guy » : juste un mec – mais le mec en question est un violeur et tueur en série. Dans ce troublant court documentaire et animé, la Germano-Japonaise Shoko Hara raconte l’obsession de quelques femmes pour ce tortionnaire emprisonné. Ce film au style visuel étonnant est l’une des expériences les plus singulières de l’année. Rencontre avec sa réalisatrice.
Quel a été le point de départ de Just a Guy ?
En 2011, mon amie Sarah (celle qui est rousse dans le film), m’a demandé de poser avec elle en photo pour faire plaisir à Richard Ramirez. Elle était déjà en contact avec lui, et elle s’identifiait elle-même comme une « groupie de condamné a mort ». Tout le monde savait qu’il avait un penchant sexuel pour les pieds et les Asiatiques. C’est elle qui a eu l’idée de prendre ces photos pour lui. J’étais jeune et naïve, et j’ai accepté. Elle lui a envoyé les photos et il m’a écrit une lettre, à laquelle je n’ai jamais répondu parce que j’avais peur. Soudain, tout devenait grave. J’ai oublié cette histoire. Ce n’est qu’en cherchant un sujet pour mon nouveau film que je m’en suis souvenue. Je savais qu’il avait eu beaucoup de groupies, et j’ai eu envie de savoir qui étaient ces femmes, et quel genre de relations elles avaient avec lui. Je m’intéresse également à la psychologie féminine. J’ai donc commencé mes recherches et j’ai demandé à pouvoir m’entretenir avec ces femmes.
Visuellement, Just a Guy est très étonnant. Sur quels critères avez-vous choisi ce style d’animation particulier ?
J’ai utilisé deux niveaux d’expression visuelle : un pour le présent et l’autre pour le passé. Pour le traitement du présent, lorsque les femmes expriment leur ressenti avec leur point de vue d’aujourd’hui, j’ai utilisé des figurines réalistes en conservant les yeux de ces femmes. Cela me permettait de traduire l’idée que le présent est davantage tangible et rationnel. En ce qui concerne le traitement du passé, lorsque les femmes décrivent leurs souvenirs et leurs sentiments de l’époque, dans toute leur complexité abstraite, j’ai utilisé de l’argile. Cela exprimait ma définition de ce type d’ »amour ».
J’ai aussi utilisé différents matériaux qu’on peut trouver dans des prisons : du métal, du bois, du plastique, du papier, et j’ai combiné tout cela avec les documents et courriers d’origine. Je voulais reconstituer leurs souvenirs sans les rendre trop concrets non plus. Les souvenirs sont souvent nébuleux et subjectifs, c’est pourquoi j’ai choisi cet aspect cotonneux, pour l’œil comme pour l’esprit.
Dans quelle mesure diriez-vous que vous utilisez l’animation pour vous rapprocher davantage de la réalité ?
Puis qu’il s’agit d’un documentaire, j’aurais pu traiter cela comme un reportage « normal », en montrant des personnes réelles. Cela s’est avéré impossible car Sarah désirait rester anonyme. Je tenais également à protéger ces femmes, car elles s’exprimaient sur un sujet très sensible. Masquer ou flouter leurs visages n’était pas vraiment une option non plus, car le film dévoile quelque chose sur ces femmes, il était donc important qu’on montre leur « visage », même en figurine, afin de montrer aux spectateurs ce à quoi elles ressemblaient. Après tout, ces femmes avaient des looks mais aussi des personnalités très spécifiques. L’animation m’a par ailleurs permis d’exprimer des sentiments complexes tels que l’amour et l’obsession, mais aussi de reconstituer des souvenirs subjectifs.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Mon réalisateur et artiste favori est de très loin David Lynch ! Son œuvre porte essentiellement sur l’inconscient, l’irrationnel et le coté sombre de l’humanité, sans pour autant perdre l’humour de vue. Je suis moi-même fascinée par ces notions-là. Le design de Just a Guy est d’ailleurs inspiré de ses collages et œuvres plastiques.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
Je suis toujours intéressée par les nouvelles techniques (analogiques ou numériques) et les nouveaux langages visuels, car je sais à quel point il est difficile de développer quelque chose de de neuf et innovant. Souvent, les nouveautés sont en réalité de nouvelles interprétations de choses déjà existantes. Trouver quelque chose de profondément innovant est devenu rare, mais cela ma rend très heureuse de voir des gens se frotter à différentes techniques ou placer des éléments connus dans un contexte inattendu.
Par exemple, j’ai été très impressionnée par le court métrage documentaire animé Maalbeek d’Ismael Joffroy Chandoutis, qui utilise la photogrammétrie pour retranscrire et rendre visible l’amnésie. Je citerais également Kkum de Kim Kangmin, qui utilise la mousse et des expériences chimiques pour raconter une histoire de songes irrationnels et surréalistes.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 octobre 2021. Un grand merci à Luce Grosjean.
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