Réalisé par l’Australo-Ethiopienne Ruth Hunduma, The Medallion, primé au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand, est au menu de Résistances en salles ce mercredi 25 septembre. Ce programme de courts métrages, dont c’est la 8e édition, valorise des talents émergents basés en Afrique ou dans la diaspora africaine. The Medallion fait le portrait de la mère de la cinéaste, survivante de la Terreur rouge en Ethiopie qui a fait des centaines de milliers de victimes. Puissant témoignage d’un cauchemar qui reste méconnu en Occident, ce documentaire pose des questions fondamentales (comme sur la valeur des vies noires aux yeux des occidentaux), et se distingue également par sa beauté et sa poésie. Ruth Hunduma sera présente lors de l’avant première de Résistances ce mardi 24 septembre à 20h au Saint-André des Arts, à Paris. Elle est notre invitée.
Quel a été le point de départ de The Medallion ?
L’idée du film est née d’une nouvelle que j’ai écrite à l’université, intitulée The Medallion. Cette nouvelle transmettait des histoires sur le génocide de la Terreur rouge, à travers le point de vue de ma mère. En 2022, pendant la guerre du Tigré, j’allais me rendre en Éthiopie pour passer du temps avec ma mère lorsque mon producteur m’a suggéré de réexplorer l’histoire de The Medallion. Dans le contexte de la guerre civile de l’époque, c’était la porte d’entrée idéale pour ouvrir un discours non seulement sur la guerre elle-même, mais aussi sur la partialité des médias occidentaux alors que le génocide de la Terreur rouge, comme malheureusement la guerre du Tigré, n’attiraient pas ou peu l’attention. J’ai commencé à le filmer moi-même avec des caméras que j’avais sous la main et j’ai lentement commencé à construire l’ADN du film.
J’ai tout de suite compris que je ne voulais pas faire un autre documentaire de guerre classique ; je souhaitais donner une vigueur et une expression esthétiques. Quand je suis rentrée à Londres, j’ai monté les images en un très court métrage, presque une bande-annonce, ce qui nous a permis de décrocher un financement du BFI et je suis retournée en Éthiopie en décembre 2022 avec une équipe pour tourner le reste du film. C’était un long processus, et j’ai souvent l’impression qu’il y a eu beaucoup de points de départ alors que le film changeait constamment de forme, mais sans cette nouvelle, ce film n’existerait pas.
The Medallion est très beau et ne ressemble pas exactement à ce qu’on peut attendre d’un documentaire de guerre. Pouvez-vous nous dire comment vous avez trouvé la « bonne » perspective, comment avez-vous abordé le traitement visuel d’un sujet aussi sombre et tragique ?
Je trouve souvent que beaucoup de documentaires et de films, en particulier sur la guerre et/ou l’Afrique, sont entourés d’une morosité et d’un désespoir. Ce n’est pas comme ça que je vois l’Afrique, et ce n’est pas comme ça que je vois l’Ethiopie, donc je ne voulais pas perpétuer une telle image dans mon film. Je voulais montrer l’Éthiopie telle que je la voyais ; une terre profondément mystique, belle et complexe. Que vous soyez religieux ou non, lorsque vous mettez les pieds ici, vous sentez la puissance spirituelle dans l’air, et c’est parfois écrasant. Il est impossible de ne pas être émerveillé.e en regardant le lever du soleil rouge sang depuis les montagnes, tout en écoutant les voix hypnotisantes des prêtres orthodoxes alors que leur chant du matin résonne au-dessus des arbres.
J’ai donc voulu capturer cet autre monde, car j’y trouvais tant de beauté et de mystère. C’était important, surtout lorsqu’il s’agissait de plonger dans les coins les plus sombres du film. Je ne voulais pas du tout fuir la tragédie ou adoucir le récit, mais le faire vivre harmonieusement avec la beauté visuelle du film comme une vérité brutale. Après tout, la beauté du pays n’existe pas indépendamment de la tragédie et, en fait, elle l’approfondit. Les montagnes et les couchers de soleil seront toujours là avant et après la guerre. C’est sinistre et horrible à penser, mais c’est vrai.
Votre film est basé sur le témoignage et le traumatisme d’une période sombre – mais il y a aussi quelque chose de très vivant, et même une forme de légèreté dans les discussions. Comment avez-vous travaillé sur cet équilibre lors du montage ?
Ce n’est pas de mon fait. Ce qui m’a toujours séduite, c’est la nonchalance de ma mère (et des gens de sa génération) lorsqu’il s’agissait de parler de souvenirs aussi horribles. J’ai été bouleversée par la facilité avec laquelle ma mère et ma famille ont pu discuter du génocide, et même rire lors de ces discussions. Pour moi, cela montre un niveau de force interne et de résilience qui repose sur la survie et la nécessité. Ils n’ont pas d’autre choix que d’aller de l’avant dans la vie, trouver la joie face à la catastrophe et l’espoir face à la tragédie. C’est ce qui a dicté une grande partie de la « légèreté » que l’on trouve dans le film.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Pour moi, Scorsese sera toujours en haut de la liste. The Medallion a été fortement inspiré par son documentaire Italianamerican. Il prête allégeance au cinéma, à tel point que son nom est aujourd’hui synonyme de cinéma. C’est tellement beau. J’adore les cinéastes qui ont repoussé les limites du cinéma et qui provoquent avec leurs idées – Godard, Fellini, Kubrick – je viens d’entrer dans le monde merveilleux de Wim Wenders, c’est magique. J’ai toujours été attirée par les cinéastes-stylistes, ce qui a inspiré mon propre style en matière de réalisation de films, et je pense à Tarantino, Paul Thomas Anderson, Lynch et Altman.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?
En ce moment-même. Je suis dans une vraie phase de cinéma en ce moment, donc je suis constamment dans les salles de ciné pour essayer de découvrir de nouvelles (et anciennes) pépites. De toute façon, j’ai tendance à passer la vie en mode exploration, donc je suis toujours à la recherche !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 mars 2024.
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