C’est notre invitée de ce Lundi Découverte : la Thaïlandaise Puangsoi Aksornsawang est sélectionnée cette semaine à la Berlinale dans le cadre de la Semaine de la Critique pour son premier film, Nakorn-Sawan. Ce long métrage est un mélange délicat entre le doc brut et la fiction onirique, traitant du deuil de la réalisatrice qui a perdu sa mère. Le résultat est sensible, élégant et prometteur. Nous vous faisons les présentations…
Quel a été le point de départ de Nakorn-Sawan ?
En 2016, j’étais en train de développer mon court métrage documentaire sur ma mère, pour ma thèse en Allemagne. A cette époque, le Festival du Film de Singapour avait fait un appel à projets de réalisateurs d’Asie du sud-est afin de les développer dans le cadre du Singapore Film Lab auprès d’autres réalisateurs de cette région. A partir de là, j’ai décidé de développer mon idée et d’en faire un long métrage dont la forme serait hybride. Rahula était le titre de travail et mon projet a reçu une mention spéciale du festival. L’histoire est un mélange entre des parties documentaires filmées lorsque j’ai rendu visite à mon père qui vit dans une plantation de caoutchouc au sud de la Thaïlande et à ma mère qui souffrait d’un cancer à l’époque. Pour les parties fictionnalisées, j’ai recréé mes souvenirs à partir de photos de famille, cette histoire d’amoureux liée à mes parents.
Pendant le festival, Anocha Suwichakornpong faisait partie de mes mentors et était intéressée à l’idée de produire ce projet. J’ai terminé le scénario et obtenu un financement de la part de Purin Pictures. Durant la pré-production en 2017, ma mère est décédée après avoir souffert de longues années du cancer. J’ai arrêté le projet et suis revenue en Allemagne. Je ne pouvais pas avancer après la perte de ma mère. Puis j’ai reçu l’invitation d’un éditeur afin de collaborer sur un projet de magazine. J’ai écrit une nouvelle intitulée Nakorn-Sawan, qui est le nom de la province où se trouve la rivière dans laquelle j’ai dispersé les cendres de ma mère après ses funérailles. Je me suis sentie comme libérée après avoir écrit cette nouvelle. C’était la première fois que je réfléchissais vraiment à la perte de ma mère, à son impact sur moi. J’ai demandé à Anocha si je pouvais modifier et adapter mon film en passant du thème amoureux au thème de la mort et de la perte. Les parties documentaires restaient les mêmes mais j’ai écrit de nouvelles choses pour la partie fiction.
Pouvez-vous nous parler de votre volonté de mêler documentaire et fiction ?
L’idée d’en faire un film hybride est venue avec l’idée de faire un long métrage. J’ai réuni des albums de famille, des images filmées lorsque je suis venue rendre visite à ma famille en Thaïlande. Après avoir revu ces images, j’ai comme reconstruit mes souvenirs en créant une partie fictionnelle qui agirait sur la partie documentaire. Tout cela figurait déjà dans le scénario.
Comment avez-vous collaboré avec votre directrice de la photographie Boonyanuch Kraithong sur le style visuel de votre film, par lequel passe beaucoup d’émotions ?
Nous sommes des amies proches depuis l’université et on a toujours travaillé ensemble. Elle peut lire en moi et moi en elle ! Lors de la pré-production, nous avons partagé des idées et sommes allées ensemble sur les lieux de tournage afin de capter l’esprit et les sentiments que nous souhations saisir. Nous travaillons ensemble sur les idées, dans une véritable collaboration.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre travail auprès de Lee Chatametikool, qui est un grand nom du cinéma thailandais contemporain ?
Je dois dire que travailler avec Lee Chatametikool est à la fois un honneur et une opportunité incroyable. Je n’ai pas seulement collaboré avec lui – j’ai beaucoup appris de lui. Le processus de montage d’un film, cela consiste finalement en des discussions sur la vie. Comme certaines parties du film sont très personnelles, nous avons essayé d’équilibrer la narration. Pendant le montage, c’était comme si l’on s’interviewait l’un l’autre sur nos expériences dans la vie.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Chantal Akerman m’a beaucoup inspirée récemment. J’adore son œuvre, particulièrement News From Home. Cela m’a fait penser à moi-même et à mon travail sur Nakorn-Sawan. La question d’identité et la relation mère-fille m’émeut beaucoup. C’est devenu un sujet que je souhaite explorer lors de mes futurs films.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais quand je suis allée en festivals, j’ai rencontré des spectateurs venus me parler de leur propre expérience liée à mon film. Ils m’ont parlé de leur mère, du sentiment d’être loin de chez eux, de l’isolement mais aussi du lien entre eux et ceux qu’ils aiment. J’ai ressenti comme un lien entre ces différentes personnes. Et cela me conforte dans l’idée de faire des films aussi personnels. Il y a là des milliers d’histoires qui sont connectées les unes aux autres – ce n’est pas seulement mon film mais aussi celui du public.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 1er février 2019.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |