Entretien avec Pedro Cabeleira

Márcia est une jeune mère qui tente de trouver la célébrité grâce aux réseaux sociaux, aidée lors de ses photoshoots par son fils Flávio. Dans son beau court métrage By Flávio, en compétition à la Berlinale et visible librement sur le site d’Arte, le Portugais Pedro Cabeleira trouve le bon point de vue en évitant paternalisme et condescendance envers son héroïne. Tendre et poignant, voilé d’un certain onirisme, le film déjoue les clichés de certains drames sociaux. Une grande réussite sur laquelle le cinéaste nous en dit davantage lors de notre entretien.


Quel a été le point de départ de By Flávio ?

Je crois bien que c’est Ana Vilaça qui m’a servi de point de départ. Je voulais faire un film dont elle jouerait le personnage principal. Je savais également qu’elle avait très envie d’écrire, nous avons donc évoqué l’idée de faire un court métrage ensemble, dont elle serait à la fois l’interprète et la co-autrice. Nous avons invité Diogo S. Figueira à nous rejoindre dans cette aventure et nous sommes partis de rien.

Un soir, alors que nous étions à court d’idées, nous avons organisé une séance de brainstorming. C’est là que Diogo nous a raconté que l’été d’avant, sur la plage de Nazaré (au Portugal), il avait vu un jeune garçon prendre sa mère en photo. Ça ne ressemblait pas à des photos de vacances traditionnelles, cela avait plus l’air d’une séance photo. C’est à partir de là que nous avons développé le personnage de Márcia : une jeune mère célibataire qui pose pour son fils Flávio sur la plage. Nous connaissions aussi le contexte dans lequel allait se dérouler son histoire, puisque je souhaitais tourner près de ma ville, et que le film parle du milieu du hip-hop. Ces deux contraintes ont guidé le reste du récit, donnant lieu à ce rendez-vous entre une mère célibataire et un rappeur célèbre à Torreshopping (un centre commercial de la campagne portugaise).

Le personnage de Márcia pourrait ailleurs être traitée de façon condescendante. Comment avez vous trouvé votre point de vue idéal à l’écriture pour éviter cet écueil ?

C’est fondamental que les personnages de mes films n’existent pas uniquement de manière horizontale ou verticale. Je savais qu’il allait falloir travailler le personnage de Márcia avec précision, car en tant que jeune mère plus ou moins accro aux réseaux sociaux, il aurait été facile d’en faire un personnage superficiel. C’était là mon principal défi, et je crois que cela m’a beaucoup aidé qu’Ana m’accompagne dans le processus d’écriture. Elle a compris dès le départ les motivations du personnage, ses pensées profondes.

Par ailleurs, de par sa performance elle nous convainc du bien-fondé de chacune de ses décisions. Cela nous a apporté l’assurance nécessaire pour aller au-delà de ce qu’on avait en tête, pour prendre des risques. Nous savions qu’au moment du tournage, Ana était tellement bonne actrice qu’elle allait pouvoir défendre notre point de vue. Au final, c’est sa performance qui donne autant de relief à Márcia, encore davantage que l’écriture. Elle l’habite avec tant d’humanité qu’il est impossible de la regarder de haut.

L’atmosphère onirique du film passe beaucoup par votre utilisation des couleurs et de la musique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect de votre travail ?

Nous avons envisagé By Flávio comme un conte de fées contemporain et tordu. Márcia, une jeune fille de la campagne, reçoit la visite impromptue d’un jeune homme célèbre venu de la ville. Ce postulat de départ est presque celui d’une comédie romantique à l’américaine, qui ne sont rien d’autre que des adaptation modernes de vieux contes de fées où des chevaliers viennent délivrer des pauvres princesses. L’atmosphère se devait d’être onirique, presque fantastique, car ce rendez-vous est déjà en soi quelque chose d’extraordinaire dans la vie de Márcia. Il fallait qu’on se retrouve plongé dans son état d’esprit.

D’un coté elle vit le début d’une histoire d’amour, de l’autre je tenais à ce qu’on conserve un pied dans la réalité, notamment grâce à des performances naturelles. Leonor Teles, notre directrice de la photo, a fait du très bon travail au moment de retranscrire cette atmosphère, ce grâce à ses éclairages. Elle a utilisé des lumières très contemporaines, très colorées, ce qui faisait sens puisque nous tournions dans un centre commercial. C’était à la fois très beau et très crédible.

J’ai travaillé avec Rafael Toral, l’un des plus grands musiciens portugais. C’était la première fois qu’il faisait de la musique pour un film. La manière dont nous avons décidé de travailler, c’est qu’il devait créer les morceaux avant le début du tournage. C’était génial parce que sa musique était si belle que ça nous a beaucoup aidés au moment du découpage. Cela a directement influé sur notre manière de tourner certaines scènes. Cela a aussi eu pour conséquence de rendre la musique plus organique, puisqu’elle n’était pas créée pour épouser une ambiance préexistante. La nuit, j’écoutais ses morceaux avec un casque en essayant d’imaginer à quoi allait ressembler le tournage du lendemain. Puis, lors du montage, je l’écoutais encore afin de retrouver ce sentiment magique et étrange qu’elle apportait à chaque scène.

Qui sont vos cinéastes favoris et/ou qui vous inspirent ?

C’est difficile de dire quels cinéastes m’inspirent puisque j’en aime tellement et que je leur dois tous quelque chose. Au final, je dirais quand même qu’il y en a deux à m’avoir beaucoup influencé. L’un d’entre eux est toujours vivant et en activité, il s’agit de Paul Thomas Anderson. J’adore tous ses films, et il fait partie de mes plus grandes références. There Will Be Blood et The Master sont deux incroyables chefs d’œuvre. C’est fou qu’à chaque fois il parvienne à faire des films de styles si différents, tout en donnant l’impression de regarder quelque chose de réaliste et onirique à la fois, surtout depuis Magnolia.

Mais mon cinéaste préféré demeure Stanley Kubrick. Je peux voir et revoir ses films sans me lasser, et pas forcément dans le but d’y trouver quelque chose de nouveau à chaque fois, mais plutôt pour avoir l’impression perpétuelle de les voir pour la toute première fois. Les films de Kubrick me parlent de façon très sensorielle. Si j’aime son travail c’est parce de nombreuses scènes de sa filmographie me donnent la chair de poule. Voilà pourquoi j’ai envie de faire des films : pour à mon tour donner la chair de poule aux autres.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de différent ?

Il ne s’agit pas à proprement parler d’un nouveau talent, mais la dernière fois que j’ai eu le sentiment de découvrir quelque chose de neuf c’était en 2017, quand j’ai découvert le cinéma de Roy Andersson. J’étais stupéfait, je n’avais jamais rien vu de pareil. Depuis, je crois n’avoir rien découvert de plus original. Ce n’est pas seulement une question de style, il a également modifié ma vision de la vie autour de moi, ma façon d’observer les passants dans le métro, ma manière de regarder la banalité de la réalité. Pourtant, si vous m’aviez résumé un de ses films avant de les voir, je me serais sûrement dit que ce n’était pas pour moi. C’est peut-être justement pour ça qu’ils me plaisent tant : je n’en attendais rien.

>>> Découvrez By Flavio sur le site d’Arte jusqu’au 2 novembre 2022.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 février 2022. Un grand merci à Gloria Zerbinati. Crédit portrait : Miguel Soares.

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