Entretien avec Nienke Deutz

Elle a remporté (et a bien mérité) le Cristal du meilleur court métrage au Festival du Film d’Animation d’Annecy 2018. La Néerlandaise Nienke Deutz raconte dans Bloeistraat 11 ce qui semble être le dernier été de l’amitié fusionnelle et déclinante entre deux adolescentes. Le résultat, parcouru par un malaise doux-amer, est une merveille de délicatesse…Entretien avec la réalisatrice, dont vous pouvez découvrir le film ci-dessous !


Quel a été le point de départ de Bloeistraat 11 ?

Je voulais faire un film sur la dynamique entre deux meilleures amies, et où l’on ressente vraiment l’intensité et la complexité d’une telle relation. J’ai souvent le sentiment que les amitiés sont présentées de façon unidimensionnelle, soit dans une totale innocence, soit en se concentrant uniquement sur la compétition entre amis. En m’entretenant avec d’autres personnes, j’ai trouvé énormément de gens qui gardent un souvenir très fort de leur premier ami mais aussi de la façon dont cette relation s’est achevée.  Une première amitié, c’est un peu comme une première audition avant de futures autres relations. La période de la puberté m’attirant énormément, j’ai décidé de faire le portrait de l’amitié de deux personnes de cet âge.

Les 2 adolescentes au character design transparent du court métrage animé Bloeistraat 11, de Nienke Deutz

Il y a quelque chose de très délicat dans cette histoire d’amitié adolescente. Tellement délicat qu’on peut voir à travers les personnages ! Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce choix esthétique ?

Je voulais que le character design reflète l’état fragile dans lequel se trouvent les adolescents. La transition entre l’enfance et l’âge adulte est une période embarrassante. Le corps change tellement vite qu’il n’a presque pas de forme fixe. J’ai essayé différents moyens de l’exprimer ; faire des marionnettes à partir de matériaux enfantins, des pliages en papier, différents types de dessins, mais je n’arrivais pas à trouver une forme qui exprime cet aspect volatil de la puberté. Ce qui s’en rapprochait le plus était de simples lignes de dessin que j’avais faites. Un jour, j’ai fait un de ces dessins sur du plastique et j’ai immédiatement vu le potentiel de cette technique. Le contour du corps est là, mais les changements constants à l’intérieur du corps donnent aux personnages cette instabilité, l’aspect incertain que je recherchais.

Le ton de Bloeistraat 11 est très doux mais aussi amer et triste. Il n’y a pas de dialogues dans votre film. Comment avez-vous travaillé sur ces émotions à la fois subtiles et paradoxales lors de l’écriture du film ?  

 Il y avait des dialogues dans une première version du scénario, mais rapidement j’ai eu le sentiment que le film serait plus fort si je pouvais tout exprimer sans utiliser de mots.  Alors il fallait développer un nouveau langage entre les filles qui remplacerait les mots.

Une manière de communiquer sans utiliser de mots, c’est le langage corporel. J’ai décidé de décrire l’évolution de leur amitié à travers l’interaction changeante de leurs corps. A chaque nouvelle scène, je décrivais des situations normales avec les filles qui se parlent. Puis, j’accentuais plus particulièrement la façon dont les filles se sentiraient physiquement dans une telle situation. Comment seraient-elles assises ? A quelle distance l’une de l’autre ? Vers où se dirigerait leur regard ? Comment leurs mains étaient-elles posées ? Parfois, j’adaptais la situation pour la rendre plus physique qu’elle ne le serait dans la vraie vie. Peu à peu, cette façon de penser est devenue très naturelle, et j’ai envisagé le film comme une conversation entre deux corps.

Photo du court métrage d'animation Bloeistraat 11, de Nienke Deutz, récompensé au festival d'Annecy 2018

Quels sont vos réalisateurs favoris ? 

 Il y a beaucoup de réalisateurs que j’aime. Pour en citer quelques uns : Ruben Ostlund, Yorgos Lanthimos, Jonas Mekas, Marguerite Duras, Miranda July, Jordan Peele, Don Hertzfeldt et Daisy Jacobs.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf au cinéma, de découvrir un nouveau talent ?

Je me souviens d’avoir vu The Bigger Picture de Daisy Jacobs et d’avoir été éblouie par ce film. J’adore la façon dont elle se sert  de l’animation, comment elle rend sa technique d’animation visible tout en étant capable de raconter son histoire.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 septembre 2018. Un grand merci à Luce Grosjean.

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