Sélectionné l’an passé dans la compétition courts métrages de la Berlinale et désormais en sélection à Format Court, Easter Eggs est signé par le Belge Nicolas Keppens. Ce film raconte l’histoire de deux copains partant à la recherche d’oiseaux exotiques échappés d’un restaurant – avec dans l’idée de les revendre et de se faire un peu d’argent. Easter Eggs est un court très surprenant, au récit à la fois potache et profondément émouvant, qui révèle un grand talent à suivre de près. Nicolas Keppens est notre invité.
Quel a été le point de départ de Easter Eggs ?
En gros il y a deux points de départ. J’ai passé une grande partie de mon enfance et mon adolescence chez ma grand-mère. Le boulanger où on allait habituellement s’est suicidé un jour dans sa volière. Il s’est pendu et il a laissé la cage ouverte. Du coup je pensais, enfant, que ses perroquets étaient quelque part dans les jardins flamands autour de celui de ma grand-mère et avec un ami on les a cherchés, sans jamais les trouver. Je trouve que c’est une jolie métaphore pour la transition entre l’enfance et l’adolescence (c’est de là que le titre vient aussi). Cette recherche ne pouvait marcher que si on y croyait.
Mon ami était, comme Jason et Kevin, un peu plus vieux que moi et j’ai dû le persuader de m’aider. En y repensant, je me suis rendu compte qu’il était encore plus motivé que moi, parce que pour moi la ligne entre jeu et réalité n’existait pas vraiment alors que pour lui, dès qu’il se lançait, ça devenait une réalité avant d’être un jeu. Exactement comme avec les œufs de Pâques. Quand tu es enfant tu t’investis complètement, et c’est une joie de les chercher, mais dès que tu sais que le lièvre ou les cloches de Pâques n’existent pas, ce jeu devient ridicule. Pas comme les cadeaux de Noël ou ça tourne plutôt autour du cadeau et pas autour de jeu qui mène au cadeau.
Un autre point de départ, ce sont les chaussées très typiques de la Belgique. La campagne n’existe plus vraiment chez nous, surtout en Flandre. Les chaussées entre les villes et villages sont entourées par des maisons, des grands magasins, des fermes… C’est un mix très absurde. Enfant, je pensais toujours que c’étaient des très longs villages. A côté d’une villa énorme on peut trouver un champs avec cinq vaches, puis un bar avec des prostituées, une école, quelques maisons… Il y a littéralement des gens qui y habitent, et dont la porte d’entrée donne à un demi-mètre d’une chaussée avec quatre bandes.
Pouvez-vous nous parler du choix de ce style d’animation plutôt dépouillé pour Easter Eggs ?
Vu que c’est un film qui a un grand rapport avec les histoires de mon enfance, c’était presque logique pour moi de le faire comme une série d’animation des années 90. Un peu comme beaucoup de films contemporains sur le début du 20ième siècle qui sont tournés en noir et blanc. C’est l’esprit visuel de l’époque selon le réalisateur et pour moi l’esprit des années 90 c’est Beavis and Butthead, King of the Hill, The Simpsons, certains Ghibli… Je pense que si mon enfance avait eu lieu dans une autre époque, j’aurais eu des références complètement différentes.
Que souhaitiez-vous évoquer avec ce format d’image particulier ?
Ce format se réfère pour moi aux photos dans les albums de famille. Ça n’existe presque plus, mais l’enfance de beaucoup de gens de mon âge est documentée avec des polaroids dans des albums. Ce que j’aime beaucoup aussi c’est que quand on rencontre une fille ou un garçon maintenant, et qu’on va pour la première fois chez ses parents, souvent ils sortent ces albums. Et on voit revenir les mêmes gens sur les photos mais parfois il y a aussi le passage d’une tante, un ami de la famille… qui est déjà décédé ou qui n’est pas forcément dans des autres photos.
Cet esprit, j’ai voulu le capturer un peu avec le film aussi : on ne sait pas comment ils connaissent le chauffeur du bus, les histoires sur les gens de la famille et les amis restent floues. Il n’est pas nécessaire de comprendre tous les liens pour comprendre la situation. Au contraire, les lignes qui restent floues ajoutent quelque chose pour moi. Aussi, le jeu avec le cadre à la fin est très important à mon sens dans la narration parce que ça correspond à ce que je disais auparavant sur la recherche des perroquets. Ils n’existent à cet endroit que si tu y crois, et cet endroit, ce sont les bords du cadre tandis que ce qu’on voit dans le champ montre « la réalité ».
A l’écriture, comment avez-vous trouvé l’équilibre qui vous semblait le plus juste entre une mélancolie émouvante et une aspérité qui crée le malaise ?
Je pense que c’est plutôt le résultat de vouloir rester très proche de mon enfance et des enfants que je vois autour de moi dans ma famille sans projeter trop une vision adulte. On fait souvent semblant de croire que l’enfance, ça n’est qu’une période mignonne où la fantaisie peut te sauver de tout. Mais j’y vois beaucoup de mélancolie, dans ce désir d’essayer de faire avancer le temps pour devenir adulte et faire tout ce que tu veux. Quand je repense à mon enfance (et ce n’est pas que pour moi), c’est aussi beaucoup d’attente. Tu ne peux pas encore rester tout seul donc tu attends beaucoup, par exemple dans la voiture pendant que tes parents font des courses. Tu te poses beaucoup de questions et les gens te donnent vite fait une réponse parce que tu n’es qu’un enfant. Je pense que cette tension était aussi pour moi une grande motivation pour faire ce film.
Quel.le.s sont vos cinéastes préféré.e.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?
Je suis très fortement inspiré par l’esprit de Agnès Varda. Au-dessus de mon bureau il y a un article du journal de quand elle est décédée qui dit « Tendre, rebelle, et toujours originale ». Au-delà du fait que par exemple Les Glaneurs et la glaneuse est vraiment une inspiration directe pour ce film, cet esprit de vouloir chercher et ne jamais vraiment se répéter me pousse beaucoup. La Balade sauvage et Les Moissons du ciel de Terrence Malick m’ont beaucoup aidé. Et je ne ferais pas ce que je fais maintenant sans les films de Alice Rohrwacher et Leos Carax.
La magie qu’ils retrouvent avec le cinéma est incroyable pour moi, ce sont, comme Varda, des gens qui poussent le langage cinématographique d’une manière qui ne peut être raconté qu’avec des films. Certaines scènes me paraissent même inexplicables d’avance aux producteurs, ce qui montre qu’ils ont une énorme vision. Je pense que du coup j’aime beaucoup les cinéastes qui font des films dans lesquels on ne sent plus trop le scénario, je ne sais pas si ça veut dire quelque chose mais pour moi ça marche. Pour finir ma liste, je dirais que la narration très sèche de Aki Kaurismaki m’inspire énormément. Le fait de ne pas devoir créer une histoire hyper complexe pour raconter quelque chose avec plusieurs niveaux.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Heureux comme Lazzaro était le premier film que j’ai vu de Alice Rohrwacher et c’était un énorme choc. Je cherche régulièrement de nouvelles choses. Donc je suis heureux d’en découvrir assez souvent. Par exemple, il y a le festival de cinéma d’animation à Bruxelles en ce moment (Anima) et j’ai découvert des nouvelles cinéastes là-bas qui m’inspirent beaucoup. Comme Mathilde Parquet et son court métrage Trona Pinnacles et Caroline Cherrier et son court Horacio.
J’adore me laisser inspirer aussi par d’autres expressions artistiques comme la peinture, la sculpture. Il y a quelques années, j’ai rencontré une jeune artiste française, Alice Saadi, à qui j’ai demandé de m’aider pour le développement de Easter Eggs parce que je trouvais son travail justement très tendre et original, et bien sûr aussi parce que ça correspondait fort à ce que j’avais en tête.
>>> Easter Eggs est visible sur Mubi
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 16 février 2021. Un grand merci à Luce Grosjean.
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