Entretien avec Nebojša Slijepčević

Visiblement librement sur le site d’Arte, L’Homme qui ne se taisait pas du Croate Nebojša Slijepčević a remporté la Palme d’or du court métrage au dernier Festival de Cannes. Inspiré de faits réels, ce huis clos se déroule dans un train stoppé par des militaires, en Bosnie-Herzégovine, en 1993. Le réalisateur utilise habilement le son et le hors champ pour créer de la tension dans ce film d’un intelligent minimalisme. Nebojša Slijepčević est notre invité.


Quel est le point de départ de L’Homme qui ne se taisait pas ?

Le film s’inspire d’un événement réel qui s’est déroulé en Bosnie en 1993. Je l’ai découvert il y a seulement cinq ans lorsque le producteur Danijel Pek m’a approché pour faire un film sur le sujet. C’était une opération de nettoyage ethnique qui s’est déroulée dans un train avec des civils. Les troupes paramilitaires serbes sont entrées dans le train et ont commencé à emmener les musulmans, et l’un des autres passagers s’est levé et s’est opposé à eux. C’est l’histoire d’un horrible crime de guerre contre des civils, mais c’est aussi l’histoire d’un acte héroïque d’un profond humanisme qui doit être raconté.



Une grande partie de la tension du film vient du son et de ce que nous pouvons entendre hors champ. Comment avez-vous abordé le travail sur le son dans votre film ?

Le principe général est quelque chose que j’ai appris il y a longtemps lorsque je travaillais sur un film d’animation : le son anticipe ce qui se passera plus tard. D’abord, nous entendons quelque chose, puis nous découvrons peu à peu ce dont il s’agissait. Il y a une scène au milieu du film où les passagers sont assis tranquillement dans leur compartiment, faisant semblant que tout va bien, et réalisant lentement la gravité de la situation. Ils ne l’apprennent qu’en écoutant les voix et les bruits venant de l’extérieur. Nous avons dû lentement faire monter la tension en utilisant uniquement le son. D’abord, nous avons tout mis dedans, puis nous avons retiré petit à petit jusqu’à ce que nous trouvions le bon équilibre.

Ce qui est intéressant, c’est que nous montions et mixions le son à distance, j’étais à Zagreb pendant que mon monteur son était à Sofia. Nous étions censés nous rencontrer à un moment donné, mais nous avons été acceptés à Cannes, et le calendrier s’est soudainement rétréci et je n’ai pas eu le temps de me rendre en Bulgarie. Nous avons donc travaillé par e-mail et WhatsApp, je décrivais à Ivan ce que je voulais, puis il me renvoyait ce qu’il avait fait, et je l’écoutais à la maison. Cette façon de travailler n’est certainement pas la plus facile, mais elle m’a fait définir très précisément ce que je voulais.



Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre processus d’écriture pour cette histoire qui se repose beaucoup sur la retenue et le manque d’informations ?

C’était en fait assez facile, je dirais que j’ai fait un choix évident. J’ai écrit le scénario du point de vue de l’un des passagers. Il s’est assoupi dans le train (cela m’arrive régulièrement), puis il est réveillé par l’arrêt soudain du train. Il ne sait pas où ils se trouvent, ni pourquoi ils se sont arrêtés, alors il sort du compartiment et apprend lentement la situation. Sa position est similaire à celle du public au début du film, ils découvrent donc ensemble ce qui se passe. Encore une fois, comme pour le son, nous avons réduit la quantité d’information. Par exemple, nous avons sali les fenêtres, il est donc un peu difficile de voir clairement ce qui se passe à l’extérieur du train.

Le manque d’informations crée des tensions et du suspense. Comme pour le son, il s’agissait de trouver le bon équilibre. Ce film est inspiré d’un événement réel, mais ce n’est pas une leçon d’histoire. Je n’ai pas été gêné par l’explication du contexte, je pense que l’histoire est universelle, et vous pouvez le ressentir même sans savoir quand et où cela se passe. Malheureusement, des événements similaires se produisent également aujourd’hui.



Qui sont vos cinéastes de prédilections et/ou qui vous inspirent ?

J’emprunte et je vole partout. Pour ce film, j’ai étudié tous les films que j’ai pu trouver qui ont été tournés dans les trains. Un film particulièrement utile a été le merveilleux Compartiment n° 6 de Juho Kuosmanen. J’ai également étudié différentes scènes qui produisent un fort suspense en peu de temps. Il y a une scène que j’ai étudiée de près ; c’est un film dont le ton est très différent du mien. Je parle de la scène d’ouverture dans Inglourious Basterds de Tarantino. Cette scène est un chef-d’œuvre pour créer du suspense et de l’anxiété chez le spectateur. Une autre influence a été un court métrage de Laszlo Nemes, With a Little Patience.

D’une manière plus générale, je citerais est Billy Wilder, dont les films m’ont suivi à travers différentes phases de ma vie. Je me souviens avoir regardé ses films quand j’avais 6 ou 7 ans et les avoir aimés, et je les aime encore aujourd’hui.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

Je sais que je suis un peu en retard, mais je viens de découvrir Kelly Reichardt. J’ai regardé First Cow pendant la pandémie, et à l’époque j’avais le covid et une forte fièvre. J’ai été complètement époustouflé par le film, j’ai cru que c’était la fièvre… mais je l’ai regardé à nouveau quand j’ai été en bonne santé, et j’ai regardé quelques-unes de ses autres œuvres, et je les ai toutes aimées. Par ailleurs il y a aussi un réalisateur croate incroyable, Jura Lerotić. Son premier film, Safe Place, est vraiment quelque chose de frais et de spécial.

>>> Visionner L’Homme qui ne se taisait pas



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 23 mai 2024. Un grand merci à Mirjam Wiekenkamp.

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