Festival Côté Court | Entretien avec Nathan Ghali

Avec Les Animaux vont mieux, le Français Nathan Ghali signe un court métrage d’animation très étonnant, dévoilé en compétition à la Berlinale. Chat, raton-laveur ou renard ont investi une église dans un monde qui semble post-apocalyptique. Reste t-il des humains quelque part ? S’agit-il d’une fuite du monde allégorique ou de sa réappropriation par le monde animal ? Le résultat est un séduisant mélange de morbide et de merveilleux, qui figure dans notre dossier des meilleurs courts vus au festival et est au programme du Festival Côté Court. Nathan Ghali est notre invité.


Quel a été le point de départ des Animaux vont mieux ?

L’idée de ce film m’est venue pendant une résidence (La Peyrigne), où j’ai eu l’opportunité d’explorer les sous-sols en ruine d’une église et d’y découvrir une sorte de cimetière de statues. J’y ai instantanément vu un décor de film, et étant à l’époque entouré d’animaux, j’ai très vite imaginé une communauté d’animaux vivant dans ces lieux. Plutôt que d’écrire un scénario, j’ai commencé par chercher des modèles 3D d’animaux sur Internet, et j’ai créé des images sur l’ordinateur avant même d’avoir une histoire. L’atmosphère visuelle de la cave de l’église a dirigé la narration.

J’ai ensuite, en parallèle, travaillé à écrire l’histoire du film, qui se veut assez libre, j’avais l’impression que vouloir appliquer une narration classique au film n’était pas intéressant, les animaux n’ont pas la même vie que nous, je ne voulais pas apposer à leur existence un “cheminement du héros”. Ces “témoignages croisés” d’animaux s’inspirent plutôt d’une narration documentaire, qui suivrait des vies qui ne sont pas scénarisées. Le film s’étant construit au fur et à mesure, l’agencement de toutes ces scènes s’est aussi fait de manière très inconsciente, j’ai en grande partie créé le film en suivant simplement des images qui naissaient dans ma tête.



Pouvez-vous nous parler de la technique d’animation que vous avez choisie pour raconter cette histoire en particulier ?

La 3D est mon médium de prédilection, j’ai pu travailler tout seul sur Blender (logiciel gratuit) pendant la première année de production du film, c’était essentiel pour moi de pouvoir tester et expérimenter librement avant de rentrer dans une fin de production plus cadrée.

J’ai découvert l’animation 3D pendant le Covid, je faisais de l’image réelle avant, j’ai le sentiment d’être très à l’aise et libre dans un logiciel 3D, je peux y passer des heures à diriger les animaux (sans en contraindre des vrais) et essayer des intuitions de mise en scène sans les contraintes budgétaires du tournage. Le concept de vidéo-projections virtuelles est venu à force d’expérimenter, il fait maintenant partie de mon langage visuel, c’est comme une manière pour moi de montrer des souvenirs, des pensées, je pense le réutiliser dans de futurs projets.



Qu’avez-vous souhaité évoquer en centrant votre film exclusivement sur des animaux ?

J’ai pensé à un moment ajouter une séquence où l’un des chats observe des humains ayant une discussion, mais l’absence d’humains à l’image crée une drôle de sensation, comme de fin du monde, qui n’était pas prévue à l’origine. C’est pour conserver cette sensation qui m’intéressait que j’ai choisi de ne pas montrer d’humain directement dans le film, seulement dans des sons au-dessus des animaux.

En centrant le film sur des animaux, j’ai cherché à explorer le deuil, d’un point de vue autant personnel que très universel. Initialement, la motivation était de revisiter mes propres souvenirs d’enfance, notamment avec le chat tacheté blanc, qui représente Touline, la chatte que j’avais chez ma mère, étant enfant. Au départ, l’idée était de répondre à des questions telles que : « Que percevait-elle de ma mère ? Que pensait-elle de moi et de notre relation ? ». Ces questions ont évolué au fil de l’écriture, développant une exploration plus large des émotions animales, en particulier celles liées au deuil.

Le premier chat du film est une transposition directe de mon expérience personnelle de la perte d’un ami, faisant naître une interrogation sur la possibilité que les animaux partagent des émotions similaires aux nôtres face à la perte. Au départ, le film était profondément anthropomorphique, cherchant à donner une voix et une expression émotionnelle bien précise aux animaux.

L’évolution du processus d’écriture m’a conduit à une réflexion plus approfondie sur la représentation des animaux dans le cinéma d’animation. La lecture du Manifeste pour une écologie de la différence de Hicham-Stéphane Afeissa a renforcé mon intérêt pour la pensée animale, la remise en question des conventions de représentation qui souvent réduisent les animaux à des carcasses esthétiques renfermant au fond des humains. Au fur et à mesure, je me suis questionné sur la possibilité de comprendre les animaux sans nécessairement les traduire en termes humains.

Au fil du processus créatif, j’ai également pris conscience des avantages à ne pas totalement comprendre les animaux, les laissant s’exprimer d’une manière qui va à côté des mots. Cela a abouti à une décision d’abandonner le sous-titrage au fur et à mesure de l’avancée de la narration, permettant aux animaux de s’exprimer dans leur propre langage, de les laisser vivre un peu.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’ai beaucoup regardé les grands comme Tarkovski, Bresson, Bela Tarr, je pense que la scène du chat dans Satantango a été la plus forte et terrible expérience que j’ai pu ressentir dans un cinéma. Je regarde aussi souvent Hong Sangsoo, j’admire sa simplicité que je n’ai pas encore, il a réussi à dépouiller son cinéma de tout questionnement d’esthète, il n’a personne à impressionner, c’est très pur, il doit se sentir très libre quand il fait un film.

Actuellement, au-delà de ces influences cinématographiques, c’est surtout la vie elle-même qui m’inspire. Les relations humaines, les souvenirs d’enfance, des émotions personnelles imprègnent le film. Je passe la plupart de mon temps de vie devant un ordinateur, donc je prends aussi beaucoup dans internet et sa culture, j’ai grandi avec et y ai trouvé refuge étant enfant, donc c’est un endroit très naturel pour moi.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

La découverte récente qui m’a profondément marqué est The Beginner’s Guide de Davy Wreden. Cette œuvre, qui navigue entre le film interactif et le jeu vidéo, a été une révélation pour moi. Je n’ai pu penser à rien d’autre pendant plusieurs jours après y avoir joué. Il aborde de façon très autobiographique la souffrance vécue durant le processus créatif, en nous faisant visiter les projets de jeux vidéo abandonnés d’un ami à lui, tout en parlant de leur relation assez conflictuelle.

Je pense que le jeu vidéo (d’art) a un vrai potentiel narratif et émotionnel, il y a encore beaucoup à explorer. La manière dont il permet au joueur d’interagir avec l’histoire crée une expérience vraiment puissante, ce médium a souvent créé chez moi des émotions que je n’ai jamais ressenties au cinéma.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 29 février 2024. Un grand merci à Anne Luthaud.

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