L’Envers d’une histoire est un documentaire passionnant dans lequel une militante politique revient sur son engagement durant la guerre en ex-Yougoslavie, ainsi que sur ses désillusions tout en étant une impressionnante force de vie. Ce film sort en salles ce mercredi 24 octobre et nous vous le recommandons. Rencontre avec sa réalisatrice…
Quel a été le point de départ de L’Envers d’une histoire ?
L’idée, c’était que si je racontais l’histoire de mon pays avec comme point de départ la porte qui a été scellée dans notre appartement, je pourrais peut-être raconter une histoire à la fois personnelle et qui offre un point de vue neuf sur la façon dont les événements politiques façonnent nos vies. Je désirais vraiment raconter une histoire qui permette aux spectateurs de voir ce qu’on a traversé, mais d’une perspective qui soit très intime et personnelle.
Quelle méthode avez-vous adoptée pour réaliser ce documentaire sur votre mère, dans son appartement ? Comment décidiez-vous de ce que vous vouliez filmer ou pas ?
Je me suis rendu compte très tôt qu’il faudrait que je tourne le film moi-même, ce que je n’avais encore jamais fait auparavant. L’idée étant de trouver la caméra et l’objectif avec lesquels je me sentirais à l’aise, puis d’investir beaucoup de temps. Le fait d’avoir filmé pendant 5 ans signifie que je pouvais préparer certaines choses, filmer des événements annuels, plusieurs fêtes, filmer les saisons. Cela m’a enlevé un peu de pression, mais ça restait néanmoins difficile d’anticiper ce qui pouvait arriver d’intéressant. Alors durant toutes ces années, j’ai gardé la caméra toujours prête à enregistrer ce qui était susceptible de devenir une scène du film. Puis sur la longueur, j’ai développé un instinct sur ce qui pouvait devenir intéressant, sur le ton d’une conversation qui s’engage, sur un reportage télévisé qui allait faire réagir ma mère. Mais j’ai aussi manqué beaucoup de choses, parce qu’évidemment ce n’est pas facile.
Dans quelle mesure diriez-vous que L’Envers d’une histoire est un film sur l’engagement, qu’il soit moral ou politique ?
Je pense que c’est un film sur l’engagement, mais aussi sur la transmission d’un certain héritage moral qui, comme tout héritage matériel, doit être pris en compte par chaque génération pour construire sa propre existence. En ce sens, ma mère et moi sommes à l’opposé l’une de l’autre en termes d’engagement : elle ne se questionne jamais, ne se demande pas si tout cela valait le coup. Alors que moi, je suis totalement dans le doute à ce sujet.
Il y a un moment dans le film où l’on entend cette phrase : « On ne peut vivre dans ce pays que si l’on s’extrait de la réalité ». Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Je faisais référence au fait que beaucoup de mes amis, et moi-même également, avons tout simplement cessé de suivre les infos et les événements politiques. Alors que ma mère continue de regarder les retransmissions parlementaires et les nouvelles du matin, je n’arrive même pas à être dans la même pièce de peur d’entendre quoi que ce soit. C’est un mélange de colère et de sentiment d’impuissance, et qui vous mène à vivre dans votre bulle. On prétend que ça ne nous concerne pas, que d’une certaine manière on est au-dessus de l’hystérie des médias et du populisme de masse – mais il est indéniable que tout cela affecte directement notre futur.
Quels sont vos réalisateurs favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Mes réalisateurs favoris viennent essentiellement de la fiction – en particulier David Lean. Ses films, ses héros au centre d’épopées, ne cessent jamais de m’émerveiller. Il y a aussi une précision dans la narration qui, comme chez Hitchcock, me fascine d’autant plus que le cinéma-vérité que je fais se situe à l’exact opposé. Peut-être est-ce aussi parce que Lean a commencé à travailler sur des images documentaires, essentiellement des films d’actualité, que je me suis intéressée à son évolution vers la fiction.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf au cinéma ?
Au printemps, j’ai vu Bisbee´17, un film hybride de Robert Greene. Et j’ai vraiment eu l’impression de trouver une nouvelle forme pour raconter une histoire – utiliser des reconstitutions non pas pour « illustrer » l’histoire mais en tant que commentaire profond sur la façon dont le mythe américain est construit à travers des reconstitutions quotidiennes à destination des touristes aux États Unis. Et c’est troublant de voir à quel point l’interprétation de personnages historiques dans la ville de Bisbee affecte les citoyens de la ville aujourd’hui.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 18 octobre 2018. Un grand merci à Emmanuel Vernières.
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