Inédit dans les salles françaises, L’Île aux oiseaux raconte le parcours d’un jeune homme qui intègre un centre de soins pour les oiseaux sauvages. Ce singulier documentaire porte un émouvant regard sur les fêlures d’oiseaux blessés et de gamins marginaux. L’Île aux oiseaux est visible en exclusivité au Club Shellac qu’on vous conseille de visiter. Maya Kosa et Sergio Da Costa nous présentent leur long métrage…
Quel a été le point de départ de L’Île aux oiseaux ?
Maya : En 2013, avec des amis, nous vivions dans un quartier résidentiel de Genève, dans une maison abandonnée, entourée par une végétation libre de pousser comme elle l’entendait, sans aucune intervention de notre part et pour le plus grand plaisir des oiseaux, nos nouveaux voisins. De la curiosité de connaître leurs noms, leurs habitudes et comportements, une passion pour l’ornithologie est née, plus pour Sergio encore que pour moi. Un jour, dans ce même jardin, nous avons trouvé un martinet blessé et, ne sachant que faire de lui, nous avons cherché un endroit où le soigner. C’est ainsi que nous sommes tombés sur le Centre ornithologique de Genthod, situé à quelques mètres de l’aéroport de Genève.
La violence sonore inouïe de ce lieu nous a marqués tous les deux. Les grandes volières qui abritaient de nombreux oiseaux sauvages étaient survolées toutes les deux minutes par d’immenses oiseaux mécaniques. C’était l’évidence pour Sergio, il fallait tourner un film dans ce décor apocalyptique et l’idée se concrétisera trois ans plus tard, en 2016. Pour ma part, j’ai vraiment accroché avec le projet à partir du moment où nous avons fait la rencontre d’Antonin. Dans le film, il joue le rôle d’un jeune homme en réinsertion sociale, formé par un certain Paul à l’animalerie, où on élève des rats et des souris pour nourrir les rapaces.
Votre film, tout en parlant de choses qui peuvent être dures, a un ton assez doux. Comment avez-vous fait cohabiter ces différentes tonalités ?
Maya : Cette cohabitation prend racine dans la manière dont les soignantes du film, la vétérinaire et son assistante, traitent les oiseaux. Lors du tournage, nous étions influencés par la façon extrêmement délicate qu’elles avaient de manipuler des oiseaux blessés ou malades. Et puis, leur quotidien est fait d’actes qui garantissent la vie et d’autres qui la suppriment. Le rapport vie-mort est très puissant dans ce lieu, tout nous y rappelle la fragilité de l’existence. Au montage, pour rire, l’assistante de réalisation (Camille Vanoy) avait proposé un titre qui sonnait un peu série Z : « Il y a des mains qui sauvent et il y a des mains qui tuent ». On n’a pas gardé ce titre, mais il révèle quelque chose d’assez juste du lieu. Les mêmes mains peuvent faire des actes en apparence contradictoires, mais en réalité, elles poursuivent un même objectif : restaurer le monde à l’échelle d’une main, et ça c’est doux.
Comment filme-t-on les nombreux animaux qu’on voit dans le film, comment avez-vous trouvé votre place ?
Sergio : Comme pour tous les collaborateurs du centre ornithologique, l’équipe du film devait éviter des contacts trop prolongés avec les oiseaux sauvages, par exemple ne pas rester trop longtemps dans les volières. Si les oiseaux s’habituent à la présence humaine, leurs réflexes, indispensables au moment du retour dans la nature, diminuent. En général, on essayait de travailler dans l’ombre des soignantes. C’est la vétérinaire qui nous donnait l’autorisation d’approcher tel ou tel oiseau. Les scènes d’opérations étaient les plus délicates. Il ne fallait pas déranger l’animal ni la vétérinaire.
Dans ces moment-là, l’équipe était réduite à l’ingénieur du son (Xavier Lavorel) et à moi, l’œil rivé dans le viseur de la caméra. Il m’est arrivé d’être si proche de l’oiseau et tellement imprégné par la concentration imposée par la vétérinaire que j’ai eu l’impression d’opérer avec ma caméra, d’être dans un rapport chirurgical à l’oiseau.
Qui sont vos cinéastes préféré.e.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?
Maya : Chaque projet appelle différentes inspirations et elles ne sont pas forcément cinématographiques. Pour L’Île aux oiseaux, nous avons commencé par piocher des images chez John James Audubon, l’un des premiers peintres ornithologues, qui a vécu pendant trente ans comme un chasseur cueilleur lors de ses excursions en Amérique, au début du XIXe siècle. Ses peintures nous ont permis de penser comment nous voulions représenter nos oiseaux. Puis, nous avons lu Silent Spring de Rachel Carson, un livre scientifique et pionnier sur la question écologique, écrit dans les années 60. Il nous a accompagnés tout au long du processus, comme un compagnon militant.
Pour construire le personnage d’Antonin, nous nous sommes inspirés d’un auteur suisse du début du XXe siècle, Robert Walser, dont l’œuvre est parsemée de jeunes personnages, un peu rêveurs, un peu enfantins et maladroits, mais à la fois très conscients du monde qui les entoure et avec un discours forgé. Et, pour terminer Le Journal d’un curé de campagne du cinéaste Robert Bresson, que nous avons vu à plusieurs reprises lors de la préparation du film. Nous nous sommes surtout concentrés sur la voix off, celle d’un personnage qui intègre une communauté, à première vue hostile, et qui essaie de trouver sa place.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Sergio : Récemment, j’ai revu Lawrence d’Arabie que Maya a découvert. Je pense que David Lean est un cinéaste à suivre !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 12 février 2021. Un grand merci à Cilia Gonzalez.
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