Documentariste, artiste plasticienne, la Brésilienne Maya Da-Rin réalise son premier long métrage de fiction avec La Fièvre. Ce film mystérieux raconte les questionnements existentiels d’un homme, un indigène venu travailler dans une ville brésilienne, tandis que dans les alentours une bête menaçante rôde. Réussi et prometteur, La Fièvre a été couvert de prix en festivals et sort ce 30 juin en salles. Maya Da-Rin est notre invitée.
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Quel a été le point de départ de La Fièvre ?
L’idée originale m’est venue lors du tournage de deux films documentaires en Amazonie, où j’ai rencontré des familles indigènes qui avaient quitté leurs villages en forêt pour vivre en ville. J’ai fini par me rapprocher d’une de ces familles et notre relation est ce qui a initié l’histoire du film. Donc, d’une certaine façon, mon point de départ est basé sur des histoires vraies. Mais ce qui m’interpellait avant tout, c’était qu’il s’agissait là d’histoires de gens que j’aurais pu rencontrer dans ma vie quotidienne.
Nous sommes tous conscients de la façon dont le cinéma a cette propension à rendre exotiques les peuples indigènes et a tendance à les voir à travers un prisme romantique, comme des vestiges de ce que les cultures occidentales ont été dans le passé et non pas comme les sociétés complexes contemporaines qu’ils sont réellement. Mais l’idée initiale du projet était très différente de ce que le film s’est avéré être. Il m’a fallu six ans de travail avant que nous puissions commencer le tournage.
Il y a dans le film une tension intéressante entre ce qu’on peut ressentir et ce qu’on peut voir. Comment avez-vous envisagé cet équilibre ?
Je crois que si on montre trop, on empêche les spectateurs de voir quoi que ce soit. Pour moi, il était clair que je ne pouvais pas révéler plus que ce que les personnages savent d’eux-mêmes. Et Justino traverse un moment très confus. Sa femme est morte, sa fille quitte la maison et, tout à coup, il se retrouve à devoir faire face à des sentiments qui avaient été en sommeil jusque-là. C’était important pour moi de permettre aux spectateurs de ressentir ce même genre de perturbation et de vide.
L’atmosphère a joué un rôle clef en ce sens. Au-delà des symptômes physiques de Justino, je me suis demandé comment sa fièvre pouvait se propager lentement tout au long du film. Justino est poursuivi à travers la forêt par une créature invisible et j’ai dû trouver un moyen d’incarner cet être. La Fièvre est un film nocturne, tourné avec des lumières basses et une noirceur dense. Le choix des lieux était également important, avec les paysages urbains industriels et déserts qui hantent Justino. Mais je crois que c’est surtout grâce au travail sur le son que cette tension se fait sentir.
Le son est effectivement un élément clef dans l’atmosphère de votre film. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous avez abordé le travail sonore sur La Fièvre ?
Le son est un élément très important pour moi et j’essaie de commencer à entendre le film dès l’écriture du scénario. Mais c’est généralement en cherchant les lieux de tournage que les idées sonores commencent à prendre forme. En effectuant une solide recherche, le directeur du son Felippe Mussel a remarqué une similitude entre les sons aigus produits par insectes de la forêt et certaines machines utilisées dans la zone portuaire. Nous sommes donc devenus plus attentifs à ces sons d’ambiance et, tout en travaillant sur le son, nous nous sommes efforcés de créer des compositions provenant du port et de la forêt jusqu’à ce qu’on ne parvienne plus vraiment à identifier l’origine du son. Ce sont des sons répétitifs qui mènent à un état hypnotique et qui m’ont aidée à construire la dimension fiévreuse du film.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Il y a aujourd’hui au Brésil de nombreux films tournés par des cinéastes indigènes qui m’ont fortement influencée, comme, par exemple, les films Tatakox (2007) et Xupapoynâg (2012) d’Isael et Suely Maxacali, ou Ava Yvy Vera (2016) réalisé par un collectif de jeunes Indiens Kaiowa. Ce sont des œuvres qui établissent une relation très libre et puissante entre la temporalité et la construction narrative. Certains de ces films me font penser aux premières années du cinéma, où les conventions narratives n’étaient pas encore aussi figée et où les cinéastes avaient beaucoup plus de liberté.
En outre, certains films réalisés par des réalisateurs non-indigènes ont également compté dans le développement de A Febre. The Exiles (1961) est un film dans lequel Kent Mackenzie accompagne un groupe de migrants indigènes qui viennent d’arriver dans la périphérie urbaine de Los Angeles. C’est un mélange entre fiction et documentaire, avec une interprétation très intéressante. Le film brésilien Iracema, uma transamazônica (1975) d’Orlando Sena et Jorge Bodanzky est un classique que j’ai regardé plusieurs fois en préparant A Febre. Et L’Homme Léopard (1943) est un film qui, dans les années 1940, présentait déjà une critique cinglante des préjugés contre les peuples indigènes, en plus d’avoir le génie de Jacques Tourneur dans la construction du suspense et de l’atmosphère.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
J’ai récemment vu Noirblue d’Ana Pi, un court métrage d’une cinéaste brésilienne basée à Paris et qui a attiré mon attention. C’est un film performatif, dans lequel elle s’interroge sur ses origines africaines à travers la danse et une narration très pointue.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 août 2019. Un grand merci à Alexia Coutant. Crédit portrait : Massimo Pedrazzini.
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