Elle fait partie des plus éclatantes révélations de l’année : l’Ukrainienne Marysia Nikitiuk raconte dans When The Trees Fall (sélectionné à la Berlinale) les chemins croisés d’une fillette rêveuse, de sa cousine en quête d’émancipation et du mauvais garçon dont elle est amoureuse. When The Trees Fall mêle avec brio le drame social, le thriller et le conte de fées. Il y a ici plus de personnalité que dans pratiquement tous les films vus cette année – ainsi qu’un souffle à renverser les arbres. Marysia Nikitiuk est notre invitée de Lundi Découverte à l’occasion de la diffusion de son film mercredi au Festival Nouvelle Vague du Cinéma Ukrainien. Retenez son nom !
When the Trees Fall est un film tout à fait inhabituel. Comment est-il né ?
Il y a cinq ans, j’ai évoqué mon enfance lors d’une discussion. Au fil de cet échange est née l’image de Vitka, ce personnage représentant la pureté de l’enfance. J’ai réuni tous les souvenirs que j’avais de moi-même, mon esprit de rébellion qui se heurtait à la routine de la vie en société. C’était le point de départ. Peu de temps après, j’ai rédigé un premier jet du script dans lequel je voulais montrer un besoin viscéral de liberté.
L’atmosphère de When the Trees Fall, entre conte de fées et réalisme social, est remarquable. Comment avez-vous trouvé le bon équilibre entre ces différents tons ?
C’était l’intention initiale. Le film montre un enfer social, une vie routinière qui détruit les personnages et c’est une chose dont j’ai souvent été témoin dans mon pays. J’ai remarqué qu’une des meilleures façons de résister à ce chaos social est de préserver la pureté enfantine de votre perception du monde. Cette perception, elle est proche de la magie et du conte de fées et le personnage qui l’a en elle est Vitka, qui a 5 ans. Le structure narrative consiste en trois histoires qui se connectent: celle de Larysa, celle de son copain Scar et celle de Vitka. Son existence, tel un miroir, reflète les déformations de la vie tout en donnant de l’espoir.
When the Trees Fall est visuellement éblouissant. Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie Michal Englert sur le style visuel du film ?
J’adore le travail de Michal Englert, et j’avais la conviction que celui-ci conviendrait parfaitement à l’idée du film et à son histoire. Par conséquent j’étais très heureuse qu’il accepte de faire le film avec moi. Notre temps était très limité, car Michal était déjà engagé sur un autre projet. Nous avons discuté très précisément du style visuel dans lequel nous souhaitions filmer cette histoire très compliquée. Nous suivons trois arcs, qui correspondent chacun à trois mondes dans le film : le drame social du monde de Larysa, le récit criminel du monde de Scar, et le monde rebelle de conte de fées de Vitka. L’idée était de combiner ces trois différentes parties dans un monde visuel. C’est pourquoi j’ai privilégié les plans poétiques dans les trois dimensions du films, qui constituaient comme des ponts intuitifs entre eux.
On cherchait également un état d’esprit, que je situais entre Bela Tarr et Hayao Miyazaki, un peu comme si chaque scène était vue par un ange. Je ne suis pas une réalisatrice-despote, du coup nous discutions non seulement de l’esprit, de l’atmosphère, mais aussi du cadrage notamment parce que nous n’avions que 20% du film storyboardé. Beaucoup de plans ont été décidés sur le plateau après quelques répétitions avec les personnages. Michal n’est pas seulement un grand directeur de la photographie, c’est aussi un ami et un équipier sur le tournage. Il m’a aidée à venir à bout de beaucoup de problèmes techniques et autres soucis qui peuvent arriver lors d’un tournage.
La fin du film est incroyable. Aviez-vous cette fin en tête depuis le début du projet ?
Non. C’est la seule variante que nous avons faite sur cette fin. Plus je vis, et plus je sens que nous ne pouvons rien faire pour nous aider les uns les autres. Nous ne pouvons éviter la souffrance, l’injustice, la douleur, la pauvreté, les guerres, les larmes… Mais parfois nous pouvons voler, quel que soit le sens que vous y voyez. Cette fin est également ouverte aux interprétations, ce qui est crucial pour moi. Je veux que le public puisse choisir le monde auquel ils sont prêts à croire : triste ou exaltant.
Quels sont vos cinéastes favoris ?
Bela Tarr, Hayao Miyazaki, Lars Von Trier, Carlos Reygadas, Jane Campion, Andrea Arnold, Werner Herzog…
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?
Je pense que c’était pour le film Sauvage de Camille Vidal-Naquet, qui était sélectionné à Cannes cette année à la Semaine de la Critique. J’ai été très touchée par cette histoire de prostitués homosexuels. Il y a quelque chose de brutal mais aussi de tendre dans cette histoire de quête d’amour et de liberté, un mélange qui ne fait plus qu’un. C’est une histoire très forte, émouvante et mature. Et cela parle d’une liberté très intime, un sujet qui me tient à cœur.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 août 2018. Un grand merci à Igor Savychenko.
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