C’est un enterrement de vie de jeune fille qui se déroule dans un lieu idyllique, mais un sentiment doux-amer voile les festivités. La Française Maïté Sonnet emprunte au conte dans Des jeunes filles enterrent leur vie, un court métrage dont les couleurs séduisantes cachent une riche variété de tons et de sentiments. Dévoilé à la Quinzaine, ce film est présélectionné pour le César du meilleur court métrage et vous pouvez le visionner librement sur le site de France tv. Maïté Sonnet est notre invitée.
Quel a été le point de départ pour Des jeunes filles enterrent leur vie ?
Les élans sont multiples mais je dirais que mon âge, surtout, a été le point de départ du film. La trentaine qui approche, les copines d’enfance, avec qui on a trainé dans la boue, qui se marient… Et celles qui cherchent d’autres formes : couple libre, etc… C’est un âge où viennent s’entrechoquer, je trouve, un imaginaire d’enfance très codifié (les contes de fée dans lesquels le Prince se marie avec la Princesse à la fin) et la réalité des relations amoureuses, qui est complexe, ambiguë, fragile. Le film est né, aussi, de ma perplexité face au rituel de « l’enterrement de vie de jeune fille », que je trouve fascinant de morbidité.
Les couleurs dans Des jeunes filles enterrent leur vie sont fortes, remarquables et expressives. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre travail concernant les couleurs dans votre film ?
Les couleurs du film sont très liées à cet imaginaire enfantin de l’amour dont je parle, celui qu’on sert aux petites filles : les robes et le goûter sont pastel, comme des pubs de déguisement et de dinette. Quand on regarde ce qui se passe, en termes de symboles, dans les enterrements de vie de jeune fille, c’est d’ailleurs ce qui ressort : on replonge dans cet imaginaire très Disney, il y a des dresscodes princesse, et on mange des cupcakes licorne. Comme si, pour se rassurer quant à la bonne direction qu’on est en train de prendre en se mariant, on avait besoin de se replier sur un doudou connu, et qui nous avait promis, à l’époque, que oui, « ils vécurent heureux »…
Ces couleurs « ternes », sages, on les a imaginées, avec Marine Atlan la cheffe opératrice, en opposition avec celles de la forêt, dans laquelle on a travaillé la lumière avec beaucoup plus de contraste, par exemple. On a d’ailleurs fait la même chose avec Agathe Poitevin en imaginant les costumes : les filles quittent leurs tenues pastel, virginales, pour se retrouver vêtues de pyjamas aux tons beaucoup plus vifs, qui les singularisent. Mon idée, c’était que les personnages « devenaient » elles-mêmes les poupées avec lesquelles elles avaient joué petites, et qu’il leur fallait sortir de cet imaginaire-là pour trouver du vrai.
Comment avez-vous mis en valeur les lieux pour donner au film une dimension de conte ?
Le conte est en effet quelque chose dont on a beaucoup parlé. Parce que quand je parle des contes de fée, je ne suis pas du tout critique vis à vis de cette forme. Ce qui m’énerve, c’est quand on n’en garde que la partie « romantique », qu’on en fasse pratiquement des pubs pour le couple hétérosexuel, alors que ce sont souvent des œuvres très sombres et ambiguës. Avec Marine, on a d’ailleurs cherché des optiques qui pouvaient avoir un rendu de « vieux conte poussiéreux ». L’idée de placer une statue devant la station thermale, qui « regarde » les filles arriver, m’est venue en discutant avec Anna Le Mouël, la cheffe décoratrice. On a parlé de La Belle et la Bête, où la magie du lieu passe beaucoup par le fait que les objets sont dotés d’une âme, et assistent à ce que vivent les personnages.
Pendant l’arrivée en voiture, la musique composée par Pierre Desprats raconte, grâce à ces chœurs étranges et mélancoliques, que le lieu est, encore une fois, habité, hanté, et qu’il « attend » les personnages pour les aider à vivre ce qu’elles ont à y vivre. La monteuse, Marylou Vergez, a eu l’idée de légèrement accélérer les nuages de brume, à ce moment-là, ce qui donne une sensation étrange, aussi, sans qu’on puisse bien l’expliquer. Et puis de manière concrète, il y a le lieu réel, la station thermale d’Eaux Chaudes les bains. Il y a de la magie dans ce lieu : l’eau soigne les gens, et le cadre qui entoure le bâtiment est complétement étrange, avec ce pont de singe qui mène directement en plein cœur de la forêt… Arriver sur ce décor, ça a été déjà un sentiment magique.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Il y en a beaucoup évidemment, mais là celles et ceux qui me viennent seraient Alice Rohrwacher, Ingmar Bergman et Leos Carax.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Je pense à Gisèle Vienne, ce qui déborde un peu du cinéma, mais dont j’ai envie de parler, car j’ai eu l’impression en la découvrant de découvrir une pensée nouvelle, qui ouvrait tout un champ de réflexion. Ce n’est pas du tout un « nouveau talent » car elle a fait énormément de choses, mais moi je l’ai connue il y a très peu de temps, pendant l’occupation du cinéma La Clef, où elle est venue présenter le film (par ailleurs incroyable) Paris is Burning. Elle a dit des choses qui m’ont bouleversée, sur le corps, la parole… Après ça, j’ai écouté ses interviews sur internet, et j’ai pris des places pour aller voir son spectacle L’Etang, dans lequel Adèle Haenel (qui est une autre personne que j’admire beaucoup par ailleurs) joue, donc j’ai hâte de découvrir leur travail.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 18 mai 2022. Un grand merci à Marisol Crisan.
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