La Française Lili Hinstin est la nouvelle directrice du Festival de Locarno. Lili Hinstin s’est notamment illustrée à la tête du Festival Entrevues Belfort, un autre festival défricheur de talents. Le Festival de Locarno sera à suivre tous ces prochains jours sur Le Polyester, et on espère comme chaque année y faire de belles découvertes. Nous avons interrogé Lili Hinstin sur cette nouvelle édition…
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John Waters va recevoir un prix à la carrière lors de cette édition. Qu’est-ce que ce cinéaste hors-normes représente pour vous ?
Ce n’est pas forcément évident de parler de mon admiration pour John Waters sans répéter les éloges que tout le monde lui a déjà faites. Ce qui me touche le plus dans son cinéma, c’est bien sûr son art de la satire, sa manière sans concession de tourner en ridicule une certaine norme sociale américaine, en l’écorchant le plus possible. Mais ce qui rend son travail aussi touchant, c’est le fait qu’il fasse tout cela en bande, avec son groupe d’amis et complices, qu’il nomme les Dreamlanders. Ce sont des personnes qui ne répondent à aucune norme sociale, sexuelle, esthétique ou même morale. Ensemble ils forment une sorte d’armée de marginaux à la fois puissants et émouvants.
Récemment, un parallèle m’est venu à l’esprit entre son travail et celui que Bela Tarr a effectué pour le Festival de Vienne. C’était un projet en dehors des normes, qu’il a effectué avec environ 200 personnes qui vivaient dans la rue à Vienne. Outre l’effet de groupe marginal, on y retrouve cette mise en avant d’un monde parallèle. Ce sont deux cinéastes qu’on ne relierait pas forcément mais qui mettent au premier plan des personnes que la majorité refuse sciemment de voir. Ils répondent à une cécité volontaire qui est d’une violence inouïe.
Pouvez-vous nous parler du choix de Catherine Breillat comme présidente du jury ?
Pour moi, Catherine Breillat est tout simplement l’une des plus grandes cinéastes françaises. Elle a eu un courage artistique incroyable tout au long de sa carrière, elle a essayé beaucoup de choses très différentes. Surtout, elle a toujours possédé cette incroyable liberté de penser, et c’est cela qui lui a permis d’examiner de façon si unique et profonde les émotions et bien sûr les désirs des personnages qu’elle a mis en scène.
Quelles différences faites-vous avec votre travail de sélection sur un festival comme Entrevues Belfort et un festival comme celui de Locarno ?
Les deux ont en commun de mélanger Histoire du cinéma et cinéma contemporain, et ça j’aime beaucoup. Ils ont également en commun d’être des festivals grand public, dans le sens où le public n’est pas uniquement composé de professionnels ou de spécialistes. Il y a également des points communs très forts en termes éditoriaux. La plus grande différence c’est bien sûr qu’il y a beaucoup plus de place à Locarno. Nous avons vu 5000 nouveaux films, courts et longs, on en a choisi environ 150. On peut donc se permettre beaucoup plus de générosité et de diversité que dans une sélection de 15 films. Une sélection resserrée permet de faire un dessin plus précis, mais une sélection plus large permet de faire un dessin beaucoup plus grand. Cela laisse également une plus grande marge de manœuvre pour que se dessinent une ou plusieurs manières d’envisager la mise en scène.
À ce propos, au fil de vos visionnages et de votre sélection, avez-vous identifié des tendances en particulier en ce qui concerne la mise en scène ou les structures narratives ?
Quand on voit énormément de films, il y a effectivement souvent des tendances qui se dégagent d’elles-mêmes. On a l’impression que d’un coup tout le monde vient de décider de filmer en 4.3 ou bien d’utiliser un étalonnage super-saturé. Pourtant cette année, je n’ai pas spécialement remarqué de telles tendances. Ce sont des zones géographiques particulières qui se sont démarquées, plutôt que des modes.
Ah par contre, une tendance qui hélas ne disparait pas, c’est ce sound design particulier qui forme une espèce de nappe sonore permanente qui bourdonne en fond, et qui est censé ajouter un peu de tension à la structure dramatique. J’attends impatiemment que cette mode passe même si elle n’a pas l’air de vouloir disparaitre (rires).
Qu’est-ce qui constitue une bonne sélection de festival selon vous ?
Vous savez je me pose moi-même la question (rires). Une bonne sélection doit être précise, pointue et éclectique en même temps, mais je dirais que c’est tout d’abord une interprétation intéressante et stimulante de l’histoire d’un festival. On programme aussi en fonction d’un héritage.
Une bonne sélection, c’est aussi un bon équilibre entre ce qui vient de nous et ce qui vient d’ailleurs. Une métaphore m’est d’ailleurs venue en tête à ce propos hier : celle d’un tableau fait avec deux palettes. On commence le travail de sélection et de peinture avec nos propres couleurs : hommages, rétrospectives, artistes invités, tout ça c’est nous qui choisissons. C’est notre palette. Pour les films à sélectionner, nous sommes au contraire tributaires des couleurs que l’on reçoit. Avec cette deuxième palette, on va alors dessiner quelque chose qui doit rendre compte de qu’on nous a proposé, quelque chose qui devra être le témoin et l’écho de la création contemporaine mondiale. En même temps, ce dessin ne doit pas chercher à être à tout prix un panorama mondial exhaustif. C’est davantage une proposition, une tentative de réponse à la question : qu’est-ce que le contemporain dans l’art cinématographique. Voilà la question qui sous-tend le Festival de Locarno depuis toujours.
Au final, une bonne sélection c’est une sélection où rien ne se ressemble, mais où tout coexiste et cohabite de façon harmonieuse, où tout se fait écho.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 9 août 2019. Un grand merci à Chloé Lorenzi. Crédit portrait : Melissa Härtel.
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