Remarquée avec son beau court métrage L’Après-midi de Clémence qui fut entre autres sélectionné à la Berlinale, la Française Lénaïg Le Moigne a signé un nouveau court intitulé Une grande roue au milieu du désert. En compétition cette semaine au Festival National du Film d’Animation de Rennes, ce film se déroule lors d’un dîner familial où l’héroïne se confie sur son expérience en tant que membre d’une organisation humanitaire en Irak. La cinéaste fait preuve d’une grande élégance et d’un remarquable sens du détail dans ce film qui met en scène la parole de manière vivante, nuancée et chaleureuse. Lénaïg Le Moigne nous en dit davantage sur son court métrage.
Lors de notre précédent entretien, vous avez déclaré : « Le dessin, par son approche poétique, permet de prendre du recul par rapport à ce qui est raconté ». J’imagine que c’était à nouveau le cas ici ?
Disons qu’ici le dessin illustre le recul qu’on a par rapport à la situation plus qu’il ne le permet. Il s’agit du récit d’un récit, le spectre de cette situation post-conflit dans cette ville d’Irak qui se dévoile dans cette soirée, le spectre de cette soirée dans cette salle de cinéma ou sur cet écran de télévision… Un souvenir forcément parcellaire et subjectif.
Contrairement au film précédent où j’essayais de décortiquer le phénomène du bouc-émissaire pour le sortir du cas particulier et l’amener à une démonstration plus générale, car c’est une situation rencontrée par tous en tous temps mais pas assez analysée ; sur ce film j’avais l’impression que concernant le conflit impliquant Daech notamment en Irak, nous avions accès à beaucoup d’analyses froides, à des chiffres. Il me semblait que ce qui manquait dans cet écho, c’était le témoignage à la première personne, d’humain à humain, faisant redevenir les chiffres des êtres, et des parcours de vie.
Votre court métrage L’Après-midi de Clémence laissait une place notable à l’introspection. Ici, vous mettez en scène une conversation très vive. Comment avez-vous abordé l’animation de ce récit où la tonalité et la dynamique sont assez différentes ?
Dans L’Après-midi de Clémence, le récit était pleinement au présent. Le propos n’était pas verbalisé mais l’intégralité du court métrage menait à son exposition. Il n’était pas nécessaire de le formuler, car justement, c’est par le médium du film d’animation (image en mouvement, son, mise en scène) qu’il était exprimé.
Je pense qu’il y a aussi ce niveau de lecture dans Une grande roue au milieu du désert, mais qui se joue sur un décalage : le lieu du témoignage oral et celui du témoignage dessiné ne sont pas les mêmes, et c’est leur rencontre qui choque et qui me permet de faire une proposition de lecture et de réflexion. Le discours tenu dans cette soirée est l’un des éléments du court métrage, mais il ne lui suffit pas…
Il y a tout un soin qui est apporté à ce qui entoure la conversation : les enfants qui jouent, la pluie qui commence à tomber, le jardin, le manège etc…
… Oui car il y a une deuxième histoire : celle d’une personne qui vit loin de ses amis et de sa famille et qui est heureuse de les retrouver, malgré le contexte. L’accent sur ce qui semble être des détails (la lumière, la musique, la bonne chère, les rires, les contacts affectueux) paraît presque déplacé par rapport à la gravité de la situation évoquée par le personnage principal. Et pourtant, n’est-ce pas ce qui donne le goût de vivre et la possibilité d’empathie ?
Quelle place occupe pour vous la grande roue qui donne son titre à votre film et qui figure également dans un plan-clef ? Est-ce que cette image a guidé la confection de votre court ?
Si le sous-texte du film est un questionnement autour de la fête et de l’insouciance quand il y a la guerre, cette image de la grande roue au milieu du désert est une illustration inattendue et très parlante pour évoquer ce besoin de “souffler” ; comme les fêtes foraines au bout d’une avenue en ruine, ou, dans d’autres endroits, les rayons de supermarchés envahis de bonbons. Cela met mal à l’aise et paraît immoral, mais n’est-ce pas éminemment compréhensible?
Avez-vous de nouveaux projets ?
Effectivement, je suis en train de développer un nouveau projet de court-métrage, toujours avec Miyu productions, qui s’appellerait Comme un souffle. Cette fois, il serait en animation 2D numérique (non que je me sois lassée du papier, mais cette technique collait mieux au propos), en couleurs; dont j’aimerais qu’il permette, par un rythme haché et flou, de retransmettre cette temporalité d’à côté du monde qui est celle de l’hospitalisation longue durée. J’aimerais parler d’à quel point la pratique artistique, loin d’être facultative comme il est coutume de la considérer dans notre société, peut devenir la seule chose qui compte, la dernière qui donne un sens à la vie.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 avril 2024. Un grand merci à Estelle Lacaud.
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