Sélectionné dans une vingtaine de festivals (dont la Berlinale), L’Après-midi de Clémence raconte l’histoire d’une jeune fille participant à un pique-nique champêtre avec ses parents, et qui va être confrontée à la violence des autres enfants présents. La jeune réalisatrice française Lénaïg Le Moigne signe un beau court métrage sur le harcèlement, à la noirceur et à la grande sensibilité crayonnées. Un talent à suivre que nous avons rencontré et dont vous pouvez découvrir le film ci-dessous ou sur la chaîne Youtube de Miyu.
Comment est né L’Après-midi de Clémence ?
Je faisais beaucoup de dessins dans mes carnets (cf ci-dessous) autour de ces grandes réunions avec plein d’enfants qui se retrouvent, en me concentrant particulièrement sur les dynamiques de groupe entre enfants. C’est assez naturellement que le thème du bouc-émissaire est devenu central car dans quasiment tous les groupes d’enfants, en classe, en colo etc.. , un enfant peut-être plus fragile, un peu différent, ou qui fait un faux pas est mis de côté, et souvent de façon assez violente. Je pense que si ce film parle, c’est parce que nous avons tous, à un moment ou à un autre, été témoins de ce genre de situation. Pour m’aider à cerner ce phénomène de façon plus claire et me permettre d’en retranscrire les étapes, j’ai aussi lu les écrits de René Girard concernant le mimétisme, notamment dans Le Bouc émissaire.
Pourquoi avoir choisi cette technique d’animation pour votre film ?
Le dessin, par son approche poétique, permet de prendre du recul par rapport à ce qui est raconté, ainsi que de mettre en valeur certains éléments qui nous intéressent particulièrement. Et si chaque trait représenté est un choix du dessinateur, dans un film d’animation, chaque mouvement qui attire l’œil du spectateur est un choix de l’animateur. Le réel passe par le filtre d’un point de vue particulier, ce qui nous à permis dans ce film, en travaillant beaucoup aussi avec la personne qui s’est occupée du son, de dévoiler ce réel par le point de vue de la petite Clémence. Le fusain, la pierre noire sont des outils qui peuvent créer une atmosphère peu rassurante, et les touches de crayons de couleur nous rattachent à l’univers de l’enfance. Je voulais également qu’on sente la trace du crayon griffée sur le papier.
Il y a quelque chose d’hypersensible et fragile dans L’Après-midi de Clémence, mais qui est aussi très noir et lourd. Comment travaille t-on sur cet équilibre ?
Quand il a été prêt dans ma tête, j’ai écrit le scénario d’un jet et il est resté le même jusque maintenant. Je crois beaucoup dans le premier jet où à mon avis réside un équilibre fragile qu’on risque de détruire en retouchant à trop de reprises. Je voulais rester au plus proche de ce que peut ressentir Clémence, et la vie, surtout pour un enfant, est rarement toute noire ou toute blanche : le rai de lumière sur le sol lui redonne goût à la vie, l’envie de jouer avec les autres lui fait mettre de côté ce qui s’est passé juste avant. Les plans un peu récréation pour moi, dans lesquels je me suis beaucoup amusée, sont ceux où l’on voit les adultes. Dans leurs looks, leurs discussions, leurs airs, je pense que c’est la partie respiration du film.
Votre film traite du bullying parmi les enfants. Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec de jeunes spectateurs de votre film à ce sujet ? Comment réagissent-ils ?
Effectivement, après les projections du film à Berlin certains enfants sont venus me voir, et j’en garde un souvenir précieux. Malgré le récit assez lourd de cet après midi, et la solitude de Clémence rendue évidente par la gaffe de la mère à la fin, qui pourrait laisser le public démoralisé, j’ai plutôt senti un impact positif. Les enfants qui sont venus me voir m’ont confié que eux avaient déjà vécu ça, mais avec le sourire, et je pense que de constater qu’ils ne sont pas seuls et qu’on peut en parler leur a fait du bien. Après la première, il y a eu une séance de dédicaces, et ce n’est plus seulement les enfants victimes qui sont venus me voir.
Ce qui était marquant de constater c’est que chaque fois que je demandais ce qu’ils voulaient que je dessine, c’était Clémence. Elle est devenue une héroïne de film, et ce que j’en interprète, c’est qu’ils se sont tous mis à sa place. Je ne voulais pas en faire un film moralisateur, et j’ai voulu ne pas être dans le jugement par rapport aux autres enfants du film, mais je pense que pour les enfants qui l’on vu et qui ont un petit dessin de Clémence chez eux, peut-être que de se mettre à la place de Clémence pendant dix minutes aura un peu d’impact dans leur attitude à venir dans ce genre de situations.
Aviez-vous des modèles en tête, venant du cinéma ou d’ailleurs ? Ou des choses que vous souhaitiez éviter ?
Si je ne pars pas de quelque chose que je ressens à l’intérieur de moi, j’ai l’impression de répéter un stéréotype. Il faut je sois capable de me mettre à la place de chacun des personnages pour les animer correctement (parce qu’en animation on est dessinateur, mais aussi acteur de chacun des personnages qu’on anime) car beaucoup de passages sont transmis uniquement par le ressenti, Clémence par exemple ne parle presque pas. Si l’animation n’est pas juste, on passe à côté du propos. Beaucoup de choses m’ont nourrie, des films, des livres, des bd, des peintures, de la musique mais surtout des souvenirs, des ressentis, des ambiances. Je ne voulais surtout pas donner de leçon, rester bienveillante dans ma façon de dérouler le récit, mais sans amoindrir la violence et la méchanceté à laquelle peut se livrer un groupe d’enfants, sans même en prendre tellement conscience.
Quels sont vos cinéastes favoris ?
J’aime voir des films qui prennent de la liberté avec les codes. Toutes les histoires sont différentes, donc je pense que toutes les façons de les raconter devraient l’être. Pour cette raison, j’aime les audaces du cinéma de la Nouvelle Vague. J’ai aussi un faible pour les films de Kieślowski, notament son Décalogue. Ado, j’ai été beaucoup marquée par Festen de Thomas Vinterberg. Plus récement, j’ai beaucoup aimé Ida de Pawel Pawlikowski. J’aime aussi la saison 1 de Twin Peaks de David Lynch. En cinéma d’animation, mon film préféré est le court métrage « Father and Daugther » de Michael Dudock de Wit!
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?
Dans ma promotion de l’EMCA (Ecole des Métiers du Cinéma d’Animation), chaque élève avait une façon très différente de raconter les histoires, et c’était très enrichissant de s’épanouir tous ensembles. Nous sommes restés à plusieurs sur Angoulême, et je trouve leurs travaux et leurs recherches formidables. Parmi eux je peux citer Manuel Morvant avec son film de fin d’études Lou Pantaï, Florent Morin qui travaille sur un film en ce moment à Miyu Productions et son film de fin d’études Les Ruines d’Arcadie, Clémentine Campos et sa grande sensibilité, Inès Bernard-Espina, Robin Courtel et sa revisitation très étrange du cartoon, Ahmed Ben Nessib, Elisa Levy, et tant d’autres qui participent à cette émulation.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 23 avril 2018. Un grand merci à Luce Grosjean.
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