L’Américaine Karen Cinorre a été doublement à l’honneur début 2021 avec son premier long métrage, Mayday, sélectionné en compétition à Sundance et à Rotterdam. Dans cette aventure féministe à l’atmosphère empruntant au merveilleux, la jeune héroïne Ana rejoint un groupe de filles engagées dans une guerre particulière. Mayday est présenté en première française au Festival de La Roche-sur-Yon. Karen Cinorre est notre invitée, elle nous en dit davantage sur ce premier essai original et prometteur.
Quel fut le point de départ de Mayday ? Qu’est-ce qui vous a poussée à raconter cette histoire en particulier ?
Je dirais que le point de départ a été le mythe grec de la sirène, moitié femme et moitié poisson. Ces créatures utilisaient leur musique pour attirer les marins et les mener à leur perte. A partir de ces histoires de fascination, j’ai imaginé le récit de transformation d’une jeune femme moderne. La mythologie est une grande source d’inspiration dans mon travail. Dans les contes mythiques de nombreuses cultures, il existe des personnages féminins puissants, aux multiples facettes, qui ne s’excusent pas d’être ce qu’elles sont. J’ai toujours trouvé que dans la fiction en général, les femmes et les filles sont trop souvent réduites à des clichés sinistres. Je préfère les dépeindre comme les forces de la nature qu’elles sont.
Mayday est à la foi un conte de fées, un film d’aventures, un teenage movie, un film de guerre et une comédie. Comment avez-vous envisagé la combinaison et l’équilibre de ces différents genres?
Lorsque j’écris, je ne pense pas en terme de genre. Le genre est un carcan. Il faut laisser l’histoire se dévoiler sous la forme qu’elle désire. J’envisage l’écriture davantage comme une composition musicale : on sent le morceau évoluer, ralentir, s’étoffer, accélérer au fil de sa création.
Même lorsque Mayday aborde des sujets graves, le ton reste enchanté. Pouvez-vous nous parler de l’importance du merveilleux dans votre travail?
Je dirais que sous la surface de toute réalité il existe une courant inconscient et onirique. C’est naturellement un lieu que j’aime explorer. C’est à la fois mystérieux et purifiant à la fois, ce qui est un mélange merveilleux et particulièrement propice à la création.
Qui sont vos cinéastes préféré.e.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?
C’est une question à laquelle j’ai toujours du mal à répondre, car je pourrais en parler pendant des heures. Pour Mayday, Satyajit Ray et Claire Denis ont été de grandes inspirations. Ces deux cinéastes parviennent à dépeindre la mort d’une manière extraordinaire et inattendue. Dans l’œuvre de Ray, l’émergence de lucioles ou le tintement d’un lustre lors une tempête viennent traduire la mort d’un personnage, et c’est proprement à couper le souffle. C’est quelque chose que l’on ressent plus qu’on ne le voit. Denis a fait la même chose dans son travail. La danse extatique de Denis Lavant à la fin de Beau Travail est la meilleure représentation du lâcher prise que j’ai jamais vue.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Chaque jour je ressens l’envie veux regarder / découvrir / sentir quelque chose de nouveau. Je vois beaucoup de films, mais j’assiste aussi à des spectacles de danse, de théâtre et d’opéra. J’adore explorer les galeries et les musées. New York est merveilleux parce qu’on y trouve tellement d’énergie et de talent, et ce même dans la rue – musiciens, danseurs. Il y a même un DJ nommé Kurt qui vend ses mixages sur CD au coin de mon immeuble. Si vous venez visiter New York, je vous recommande vivement d’aller l’écouter. Vous le trouverez sur Delancey Street, près de la station de la ligne F.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 février 2021. Un grand merci à Michael Arnon.
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