Second long métrage de la réalisatrice indonésienne Kamila Andini, The Seen and Unseen a été remarqué du Festival de Toronto à la Berlinale. Ce long métrage poétique et hypnotique a pour héroïne une fillette confrontée à la mort prochaine de son frère jumeau. La sensibilité et l’imaginaire de la jeune cinéaste la situent quelque part entre Naomi Kawase et Lucile Hadzihalilovic – soit en très bonne compagnie. The Seen and Unseen sort en blu-ray dvd le 15 décembre chez Spectrum Films. Nous vous faisons les présentations…
Comment est né The Seen and Unseen ?
Mon premier long métrage The Mirror Never Lies a été montré dans des festivals à travers le monde. J’ai rencontré un large public, ce qui m’a amenée à me questionner sur moi-même. Qui suis-je en tant qu’Indonésienne, en tant qu’Asiatique – qui sommes-nous en tant que personnes venant de l’est?
Je voulais avoir l’idée d’une histoire qui me permettrait de faire un voyage pour savoir qui je suis en tant que créatrice. J’ai ensuite pris connaissance d’une philosophie balinaise intitulée Sekala Niskala, qui en anglais donnerait the seen and unseen. Les Balinais pensent que la vie à l’est comprend tout ce que l’on voit, mais aussi ce que l’on ne peut pas voir. Cette philosophie parle beaucoup de vie holistique et de dualisme. C’est ce dont je souhaitais faire le portrait dans le film.
Et puis j’aime ces mots, seen et unseen, et cela m’intéressait de jouer avec ces mots en termes visuels. Je crois que le film vient de là.
Il y a quelque chose d’hypnotique dans votre film. Comment avez-vous créé cette atmosphère visuelle particulière en termes visuels auprès de votre directrice de la photographie Anggi Frisca ?
Mon processus créatif est très organique ; tout vient d’une idée et ensuite je suis simplement ce qui sera le mieux pour délivrer cette idée. C’est un long voyage, mais qui est très organique et sensible.
Je suis heureuse d’avoir travaillé avec une équipe de créateurs qui partagent le même processus créatif. C’est le cas d’Anggi Frisca. Je me souviens que lorsque nous pensions au visuel de The Seen and Unseen, je lui ai dit que ce que nous explorions dans le film tenait du jour et de la nuit, je souhaitais capter ce sentiment d’entre-deux temporel (comme l’aurore ou le crépuscule), cette zone d’ombre. Ces moments de la journée ont une dimension très spirituelle à mes yeux, et je voulais que le film saisissent ce sentiment. Je pense que Anggi a très bien su exprimer cette idée.
La lune est un motif récurrent dans votre film. Est-ce que cela revêt une symbolique culturelle particulière ?
Le film traite de la vie et de la mort, et si vous croyez au Sekala Niskala, vous acceptez cette réalité que la mort fait partie intégrante de la vie. Que la vie est un cercle dont la mort n’est pas la fin de toute chose. C’est pourquoi les Balinais ont leur propre calendrier qui est basé sur les cycles de la lune. Ils ont des rituels à chaque changement de lune pour célébrer le cercle de la vie.
La lune est devenue un pouvoir important du film, et moi-même j’ai souhaité utiliser son pouvoir magique.
Est-ce que le titre de votre film, The Seen and Unseen (ce que l’on voit et ce qui n’est pas vu), correspond à vos goûts (en tant que réalisatrice et spectatrice) sur ce que l’on peut voir et ce qui est invisible, laissé à l’imagination ?
C’est une question intéressante, et je crois effectivement que cela correspond. Le cinéma pour moi est une question de perspective et de changement de perspective. C’est toujours intéressant pour moi de jouer avec cette perspective en construisant peu à peu le film.
Votre traitement très sensible de sujets tels que l’enfant, le deuil et le lien que vous explorez entre le réalisme et les éléments surnaturels m’ont rappelé le travail de cinéastes telles que Lucile Hadzihalilovic (avec laquelle vous avez partagé une conférence à la Berlinale) et Naomi Kawase. Êtes-vous familière de leur cinéma, quelles sont vos influences ?
Pour être tout à fait honnête, à Berlin, c’était la première fois que je rencontrais Lucile. J’étais très intriguée par son cinéma même si je n’en avais vu jusqu’ici que des extraits. En revanche, en ce qui concerne Naomi Kawase, c’est une des réalisatrices pour lesquelles j’ai énormément de respect, et qui en tant que cinéaste a une vraie vision. Mais j’ai bien d’autres cinéastes qui m’inspirent, et j’ai toujours besoin d’être inspirée.
The Seen and Unseen a été projeté dans une section dédiée au jeune public à la Berlinale. Comment ont-ils réagi à un sujet qui reste assez sombre ?
Les projections à Berlin ont été très intéressantes, ainsi qu’au Festival de Malmö où le film a également été projeté à un jeune public. Les publics jeunes et adultes ont des réactions différentes, notamment aux scènes dansées. Ce sont des scènes supposément émotionnelles et qu’on imagine être plus faciles à appréhender en tant qu’adulte. Mais le public plus jeune est sensible à ces scènes autrement, par l’animalité qu’elles dégagent, par les mouvements qui peuvent les amuser. Voilà qui rejoint ce que je vous disais sur la perspective.
Même si le public pouvait être divisé, les séances de questions-réponses étaient toujours super ! J’ai eu l’impression que le public adorait posait des questions au sujet du film.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent au cinéma ?
Il y a trois films qui me sont restés en tête et qui à mes yeux ont quelque chose de neuf : Call Me By Your Name de Luca Guadagnino, Les Anges portent du blanc de Vivian Qu et Foxtrot de Samuel Maoz.
Entretien réalisé le 26 avril 2018. Un grand merci à Ifa Isfansyah.
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