Festival New Directors/New Films | Entretien avec Irfana Majumdar

Dévoilé cet été à Locarno, Shankar’s Fairies est le premier long métrage de l’Indienne Irfana Majumdar. Ce film doux et attachant évoque le système de classes en Inde à travers un récit familial. Shankar’s Fairies est sélectionné cette semaine au Festival New Directors/New Films et Irfana Majumdar est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Shankar’s Fairies ?

Ma grand-mère est décédée en 2016 et ma famille a pris la décision de vendre sa maison qui a 100 ans. Nous avons décidé de faire un film dans la maison avant que celle-ci ne soit vendue, avec une histoire basée sur les souvenirs d’enfance de ma mère. Au fur et à mesure du développement du scénario, elle et moi avons réalisé que c’était Shankar, le serviteur de la famille, qui était en fait au cœur de l’histoire. Cela a dévoilé une grande vérité sur l’Inde d’hier et d’aujourd’hui – sa division de classes et ses inégalités profondément enracinées.

Vous avez tourné Shankar’s Fairies avec plusieurs membres de votre famille. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette façon de travailler ensemble sur une histoire si personnelle ?

C’était un luxe de pouvoir passer des mois ensemble à revisiter l’histoire de la famille, et dans ce processus passionnant consistant à créer une histoire et des personnages. J’ai toujours aimé travailler avec des proches. Avec d’autres personnes, la collaboration nécessite un travail conscient, une forme de négociation. Travailler avec des proches vaut le coup car cela a un effet autant en termes artistiques que personnels.

Mon mari – Gaurav Saini (qui sur le film a été assistant réalisateur, directeur de casting, acteur), ma mère – Nita Kumar (scénariste, productrice, cheffe décoratrice) et moi avons chacun nos propres points forts artistiques et intellectuels. C’est ce qui a rendu le film beaucoup plus riche qu’il ne l’aurait été autrement… en réalité, c’est ce qui a fait du film ce qu’il est. J’ai beaucoup appris de leurs idées et de leurs approches.

La majeure partie du film se déroule dans la même maison, mais Shankar’s Fairies ne paraît jamais claustrophobique. Au contraire, il se dégage avant tout un sentiment de sérénité. Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie Sunny Banerjee pour créer cette atmosphère particulière ?

Je pense qu’il y a deux choses qui m’ont beaucoup aidée dans cette tâche. Premièrement, lorsque ma mère, mon mari et moi travaillions sur le scénario, nous avons essayé de concevoir chaque scène comme un monde en soi, rempli de tout un ensemble de thèmes qui se superposent. Ainsi, en visualisant la façon de cadrer et de filmer l’histoire, je me suis instinctivement inspirée de toutes ces idées. Je pense que cela a donné un certain sens de l’espace, plus que, par exemple, si on avait simplement filmé les dialogues entre deux personnes comme moyen de transmettre des informations.

L’autre chose est que, pour un enfant, tout espace est rempli d’imaginaire et d’émerveillement. Lorsqu’on regarde un rideau sur une porte, on peut facilement imaginer une créature qui se cache derrière. Au-delà de cette porte, il y a une autre pièce, et une autre porte à peine visible. Qui sait ce qui s’y cache, et ce qui se cache au-delà ? La lumière du soleil traverse les fenêtres et les ombres jouent sur les murs. Et tout cela est remarquable. Comment ce lieu pourrait-il éveiller un sentiment de claustrophobie ? Je pense que c’est ma propre enfance passée dans cette maison qui m’a donné une idée claire de ce que je voulais, du sentiment que chaque image devait véhiculer.

Sunny a suggéré une caméra qui fonctionne très bien même dans des conditions de faible luminosité, et il a utilisé très efficacement les lampes et la lumière naturelle pour créer la sensation qui correspond à chaque scène. Il a essayé de comprendre mon esthétique et m’a soutenue dans sa création.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’ai l’impression d’avoir du retard dans mon éducation cinématographique. Je découvre toujours de grands cinéastes, en particulier des cinéastes contemporains. Durant la pré-production de Shankar’s Fairies, nous avons regardé beaucoup de classiques. J’ai adoré Dersou Ouzala et Sanjuro de Akira Kurosawa, La Harpe de Birmanie de Kon Ichikawa, The Big Animal de Jerzy Stuhr sur un scénario de Kieslowski , Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson et Printemps, été, automne, hiver… et printemps de Kim Ki-duk par exemple.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?

Ça m’arrive tous les jours en regardant ma fille qui a bientôt 4 ans. Elle écoute des histoires et des chansons, puis elle crée ses propres versions qui sont d’un non-sens total. Les enfants ont toutes les qualités d’un artiste. Ils prennent des risques, suivent leurs impulsions, puisent dans toute leur connaissance du monde ainsi que dans leurs propres mondes imaginaires, savent jusqu’où peut aller et reprendre l’improvisation. Je pourrais mettre en scène une performance chaque jour à partir de l’observation de mon enfant !

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 4 octobre 2021. Un grand merci à Lya Li.

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