Est-il nécessaire de présenter Gilles Jacob ? Figure-clef du Festival de Cannes, immense cinéphile, découvreur insatiable et esprit malicieux, Gilles Jacob était notre interlocuteur rêvé pour accompagner la naissance du Polyester. Son passionnant Dictionnaire Amoureux du Festival de Cannes est sorti ce printemps en librairie et nous vous le recommandons chaudement. Nous avons rencontré Gilles Jacob qui nous parle de ses écrits, de Cannes, de cinéphilie, de critique et de ses récentes découvertes…
Comment constitue-t-on un ouvrage tel que votre Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes ? Quelle a été votre méthode ?
A coups de souvenirs, de recherches, de réflexions, en variant les entrées le plus possible. Comme je disposais de beaucoup de place, j’en ai profité pour m’adresser non seulement aux cinéphiles mais aussi au grand public. Le livre se veut informatif sur comment marche la machine autant que sur l’histoire de l’art. Il s’appelle dico amoureux du festival mais c’est tout autant du dico du cinéma mondial qu’il s’agit puisque tout le monde, tôt ou tard, est passé par Cannes. J’ai choisi la diversité maximum et l’alternance de tous les thèmes : films, gens, pays, périodes, art, stars, presse, fêtes, lieux, événements, sections, marché, jurys, organisation, équipe, il y en a pour tous les goûts et pour toutes les curiosités…
Quelles différences souhaitiez-vous faire avec vos précédents ouvrages tels que La Vie passera comme un rêve ?
Le Dico amoureux est le complément logique de La Vie passera comme un rêve à neuf ans de distance, le deuxième volet du diptyque. Seule la présentation change : alternance pour La Vie … entre ma vraie vie et le cinéma, succession et énumération dans le Dico totalement tourné vers les films, les cinéastes, les portraits d’acteurs, les événements, les coulisses, les palmarès, les rencontres, les scandales, les anecdotes, etc…C’est la somme des deux livres où j’ai pris soin de ne pas me répéter qui forme le testament de cinquante ans de vie cinématographique. L’un ne va pas sans l’autre.
De quel recul aviez-vous besoin pour inclure dans votre Dictionnaire des entrées récentes et/ou contemporaines ?
Pour ainsi dire pas de recul. J’ai inclus, par exemple, la cinéaste Maren Ade parce que Toni Erdmann est une date dans l’histoire du cinéma allemand : talent de mise en scène, direction d’acteurs, sens de la situation et du dialogue, drôlerie , tout confondu. Il date de 2016 et on a parlé de lui pour la Palme.
En tant que sélectionneur de festival, quelle place revêtait pour vous la découverte de nouveaux talents ?
La première.
Et de quelles découvertes êtes-vous le plus fier ?
Celle dont je suis le plus fier c’est, justement, d’avoir mis l’accent sur le principe même de découverte avec la caméra d’or et La Cinéfondation, la notion qu’on avait besoin de découvrir sans cesse. Le cinéma est un Moloch qui dévore ses propres enfants, il faut prévoir à l’avance le renouvellement des générations, d’où la cohérence de mes choix et de mes actions à ce sujet. C’est ainsi qu’on a découvert entre autres Moretti, Kieslowski, Jane Campion, Lars von Trier et combien d’autres.
L’une des qualités de votre Dictionnaire est le regard très fin que vous portez sur les relations entre le festival et la critique. En quoi, selon vous, le festival a t-il besoin de la presse et vice-versa ?
Cannes est et a toujours été un festival de médias. Le média est l’intermédiaire entre l’auteur et son public. Ne pas faciliter le travail de la presse et notamment de la presse écrite serait suicidaire. Un art sans critique compétente cesserait de progresser dans son écriture, dans ses audaces, dans son évolution même. La critique a toujours été choyée par les services de presse successifs : les critiques travaillent très dur à Cannes, ils doivent voir plusieurs films par jour, écrire sur eux, se faire très vite leur opinion, rencontrer des artistes, passer d’un univers à l’autre : tout doit être fait selon moi pour leur faciliter la tâche.
Personnellement, qu’attendez-vous d’un média dédié à la critique de cinéma ?
J’attends de lui qu’il communique l’amour du grand cinéma d’auteur, qu’il soit un guide qui conseille au public les films à voir cette semaine, ce mois-ci ou cette année, mais aussi qu’il aide les auteurs à se faire connaître et qu’il marque les films-jalons de l’histoire du cinéma. C’est un découvreur mais aussi un media qui réévalue de temps à autre les films consacrés par ses prédécesseurs sans craindre de bousculer les idées reçues. Il doit évaluer le travail des directeurs de festivals puisque personne ne le fait plus aujourd’hui de manière suivie.
Notre site sera plus particulièrement dédié aux nouveaux talents du cinéma d’auteur. Quelles sont vos découvertes récentes favorites faites au cinéma ?
J’aime beaucoup le cinéma de Kleber Mendoça Filho : Aquarius, bien sûr, mais surtout Les Bruits de Récife où le travail sur le son, notamment, est extraordinaire. Eran Kolirin est un israélien qui a une ironie cinglante à la Beckett et un vrai regard sur la société contemporaine. Emmanuel Gras devrait aller loin (Makala) et je mets tous mes espoirs sur Julia Ducournau.
Y a t-il un film au sujet duquel on pourrait se dire « Jamais je n’aurais imaginé Gilles Jacob voir et aimer ce film-là » ?
Oui, Grave, un film tout à fait remarquable dans sa mise en scène et dans sa proposition de cinéma, le cannibalisme n’est pourtant pas mon fort et la vue du sang me glace. Mais Julia, quel talent !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 10 avril 2018.
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