Entretien avec Elsa Kremser & Levin Peter

C’est sans aucun doute l’un des ovnis de de ces dernières années. Space Dogs part du postulat que le fantôme de Laika, premier être vivant envoyé dans l’espace, erre désormais parmi les chiens errants des rues de Moscou. L’Autrichienne Elsa Kremser et l’Allemand Levin Peter suivent ainsi des chiens dans la capitale russe ; leur film est à la fois scientifique et lyrique, c’est un doc qui emprunte au conte de fées, il ne montre que des animaux mais parle beaucoup des humains… Le film est visible librement sur le replay d’Arte jusqu’au 30 novembre 2022. Nous avons rencontré les deux cinéastes.


Quel a été le point de départ de Space Dogs ?

Nous étions fascinés par l’idée de consacrer un film à la vie d’une meute de chiens errants. Nous avons pensé qu’il devait être possible de faire un long métrage dans lequel les chiens jouent le rôle principal, un film sur leur langue , depuis leur point de vue sur nous les humains. A partir du moment où nous avons découvert que Laika, le premier être vivant à avoir été envoyé dans l’espace, est née dans les rues de Moscou, nous savions quelle histoire raconter. Penser à son cadavre flottant quelque part au-dessus de nos têtes nous a donné l’idée d’inclure cette légende selon laquelle son fantôme errerait aujourd’hui dans les rues de Moscou aux côtés de ses descendants. De quoi rêvent les chiens lorsqu’ils bougent leurs pattes dans leur sommeil – que ce soit dans une capsule spatiale ou dans les rues de Moscou? A partir de cette question, nous avons commencé à travailler sur Space Dogs.



Il y a dans Space Dogs une scène qui est assez choquante. Avez-vous établi des règles avant le tournage sur ce que vous pouviez filmer ou non, et sur la façon dont vous pensiez vous comporter vis-à-vis des chiens ?

Notre but était de suivre ces chiens – et faire partie de la meute – pour être acceptés par eux. Il était très important de susciter l’intérêt des chiens. Donc notre seule règle était de ne pas les nourrir, parce que dans ce cas ils ne nous auraient plus considérés que comme source de nourriture et cela aurait altéré leur intérêt – comme c’est le cas avec beaucoup d’autres personnes qui les nourrissent. Il nous a fallu deux mois pour être acceptés par eux et être techniquement assez expérimentés pour les suivre à travers la ville. Un matin, nous les suivions depuis très longtemps dans la ville encore endormie. Soudain – tout aussi soudainement que cela arrive dans le film – cette scène de chasse brutale a eu lieu. Ce fut un moment choquant pour nous. Cinématographiquement, nous avons fait ce sur quoi on s’était entraîné pendant de nombreuses semaines, nous les avons suivis avec la caméra – sans faire de compromis.



Space Dogs se base sur des faits scientifiques mais il y a aussi un ton très lyrique, le film peut être à la fois un documentaire et un conte de fées, il y a des scènes qui peuvent être grotesques et d’autres très sérieuses… Comment avez-vous abordé ces émotions et ces éléments très différents ?

Pendant le tournage, nous étions d’abord et avant tout des collectionneurs. Dès le début, nous avions en tête un film qui oscille entre le documentaire et la mythologie. Les différents niveaux se sont ajoutés ainsi au cours de ce long processus. A Moscou, nous n’avons pas seulement accompagné les chiens, nous avons également fait des recherches dans les archives pendant plusieurs années au sujet d’images qui étaient aujourd’hui invisibles et nous avons rencontré des témoins qui, à l’époque, travaillaient avec les chiens cosmonautes. Le bon équilibre entre ces différents matériaux et niveaux, nous ne l’avons trouvé que pendant le processus de montage. La chose la plus exigeante à coup sûr, c’était de donner au film ses personnages principaux – les chiens errants dans Moscou. Nous voulions qu’ils mènent le film, que leur réalité s’entrelace avec les archives et que tout cela s’intègre dans une fable.



Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Miguel Gomes est peut-être un réalisateur qui nous a le plus inspirés pour Space Dogs. Surtout son film Les Mille et une nuits, qui nous a beaucoup encouragés et nous a donné envie de raconter Space Dogs à notre manière. Nous avons aussi regardé beaucoup de films de science-fiction des années 70 et 80 qui nous ont beaucoup inspirés. Par exemple pour la conception sonore, Le Mystère Andromède de Robert Wise était une référence.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Comme nous avons passé beaucoup de temps à Moscou, nous avons également eu un bon aperçu de la création cinématographique locale. Et c’était un nouveau regard fascinant pour nous, parce que ces cinéastes sont largement inconnus en Europe occidentale et sans soutien gouvernemental, ils sont contraints de travailler de manière extrêmement indépendante. Leur énergie nous a beaucoup inspirés. Nous avons découvert en particulier le travail d’Ekaterina Selenkina et Alexey Kurbatov. Ils travaillent sur un film vraiment singulier, et ce qu’on a pu en voir était particulièrement excitant. Ce projet s’intitule Figures in the Urban Landscape et est soutenu par le Fonds Hubert Bals.


>>> Space Dogs est visible librement jusqu’au 30 novembre 2022 sur le replay d’Arte


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 17 août 2019. Un grand merci à Gloria Zerbinati.

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