Dans son court métrage AKA, la Française Dorothée Murail met en scène les états de l’âme au cours d’une dépression à travers la chorégraphie d’une danseuse de butô. Ce film puissant, introspectif et organique est à découvrir en ligne dans le cadre du Festival Films de Femmes de Créteil où il figure en compétition. AKA sera prochainement décliné sous forme d’installation. La cinéaste nous en dit davantage sur cette expérience unique.
Quel a été le point de départ de AKA ?
AKA vient d’une émotion profonde, d’un mal être qui m’a envahie. J’ai commencé à retranscrire visuellement plusieurs de ces sensations dans mon esprit tel un architecte. Ce processus m’a aidée à leur donner une forme, à les comprendre et donc à me sortir de cet « état » d’être.
A vos yeux, dans quelle mesure la danse et une forme d’abstraction permettent de mieux raconter et saisir l’intimité qu’une narration plus traditionnelle ?
Pour ma part, les mots me limitent dans l’expression de ce que je souhaite exprimer. Ils m’handicapent en quelque sorte. J’arrive à m’exprimer grâce à l’image et à tout ce qui la compose : les textures, le mouvement, les couleurs, le cadre… Dans AKA, ces éléments accompagnent la danseuse Sachiko Ishikawa. J’ai souhaité laisser la place au spectateur pour qu’il puisse vivre ses propres émotions, qu’il les accueille par le prisme de son vécu et de ses expériences de vie personnelles. C’est ce chemin par l’inconscient qui m’intéresse.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le choix du rouge sur rouge – avec votre protagoniste peinte en rouge, vêtue de rouge et sur fond rouge ?
Bien sur, d’une part le monochrome de l’image évoque la disparition du personnage dans son propre environnement. Lorsque l’on s’enferme psychiquement, on disparaît à l’intérieur de soi même. Aussi, la plupart des influences du projet viennent du Japon, or dans la culture nippone les couleurs sont des éléments capables d’exprimer les sentiments. En japonais, le mot « aka » signifie rouge, il est construit avec deux kanji (caractères de l’alphabet japonais) qui signifient « grand » et « feu ». Aka décrit ainsi la couleur d’un grand feu rouge qui brûle.
Cette couleur est également liée à la symbolique du phénix qui incarne la survie par excellence, à travers la transformation intérieure et la régénération. La couleur rouge est une couleur ambivalente qui symbolise en même temps la vie et la mort, dans AKA le processus de dépression est ainsi vécu comme une renaissance à la fin du film.
Quel.e.s sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
J’admire énormément les cinéastes qui arrivent à vous transporter à la place des personnages et qui vous habitent encore après être sortie de la salle de cinéma comme Xavier Dolan, Barry Jenkins (Moonlight), ou Alejandro González Iñárritu (Babel).
Dans un autre registre, le documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea qui retrace L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot fait partie de mes références absolues. Il montre le travail du réalisateur qui a voulu mettre en image la folie, la paranoïa de son personnage. Les effets surréalistes du film traduisent la perception d’un esprit fou. Cette liberté qu’expérimente Clouzot pour retranscrire l’inconscient est une inspiration directrice pour moi.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
Je vis au japon depuis un an et c’est extrêmement stimulant de se plonger dans tant de nouvelles œuvres ! J’ai récemment découvert le film Kagero-za 陽炎座 (Brumes de chaleur) du réalisateur Seijun Suzuki que je recommande vivement.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 avril 2021. Un grand merci à Julia Fougeray. Crédit photo de tournage : Antoine Henault. Crédit portrait : Elsa et Johanna. Crédit Affiche : Guillaume Ferrand.
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