La Roche-sur-Yon | Entretien avec Charlotte Serrand

Nous l’avions interrogée en tant que cinéaste, c’est désormais la directrice artistique du Festival de La Roche-sur-Yon qui est notre invitée. Charlotte Serrand nous détaille les temps forts de la 11e édition du festival qui débute ce lundi 12 octobre et qui sera à suivre quotidiennement sur Le Polyester…


L’année 2020 n’a pas été simple pour l’organisation des festivals de cinéma, en France comme à l’étranger. Comment ces circonstances particulières ont-elles influencé ou non ton travail pour cette édition ?

Les conditions d’accueil lors du Festival vont évidemment bouleverser les habitudes et les fréquentations: port du masque obligatoire, jauges des salles à 50% pour la sécurité et le confort de tous, parcours particuliers pour rentrer en salles, temps de ventilation entre chaque séance. Il y a nécessairement moins d’invités que l’année dernière afin de limiter les risques. Par rapport à la programmation, il y a une centaine de films dont une trentaine de premières française! Des films qui viennent de festivals comme Sundance, Berlin, Rotterdam, Venise. Le travail a été réalisé dans l’incertitude, au jour le jour, mais avec l’espoir que le festival ait lieu. Je remercie les  sociétés de production, de vente, de distribution qui ont accepté les invitations et permettent de partager les films avec le public, de leur offrir l’opportunité d’une exposition en France, et de continuer à défendre le travail des artistes. Je remercie également nos partenaires pour leur soutien, et leur sensibilité au discours selon lequel nous devons aussi être ensemble dans les moments difficiles pour continuer à soutenir la culture et le travail des artistes. 

Cette année, trois réalisatrices sont spécialement mises à l’honneur au festival. Peux-tu nous parler des rétrospectives et focus sur Sally Potter, Joanna Hogg et Julia Hart ?

Le travail des cinéastes britanniques Sally Potter, Joanna Hogg, et de la cinéaste américaine Julia Hart n’avait jamais été ainsi montré en France. C’est l’envie de proposer des découvertes, dans la continuité de ce que nous faisons pour le festival où l’on propose de défricher pour le public. Ces cinéastes ont une ampleur internationale mais tout le monde ne les connaît pas, j’avais envie de mettre à l’honneur leurs carrières impressionnantes. Sally Potter a commencé à faire du cinéma à 14 ans avec une caméra qu’on lui avait prêtée, elle est à la fois scénariste, actrice, chorégraphe, productrice, elle a composé la musique de beaucoup de ses films! Son nouveau film The Roads Not Taken (avec Javier Bardem et Elle Fanning), présenté au Festival de Berlin a déclenché cette envie: c’était l’occasion de revenir sur son parcours et de présenter son œuvre qui a largement contribué à l’histoire du cinéma.

Je suis le travail de Julia Hart depuis 2016, son nouveau film Stargirl, est sorti sur Disney + en mars dernier, c’était l’occasion de le montrer sur grand écran (à la fois dans sa version VOSTF et VF) et de présenter son précédent film encore inédit en France Miss Stevens (2016, prix de la meilleure actrice pour Lily Rabe à SXSW,) qui a largement participé à révéler l’acteur Timothée Chalamet (Call Me By Your Name). C’est un mélange d’occasion et d’envie de faire connaître, comme avec Joanna Hogg, dont le film The Souvenir va sortir en France en mars 2021. J’ai découvert cet été sur MUBI Unrelated que j’ai trouvé sublime et qui m’a touchée par sa façon de mettre en scène une temporalité intérieure, quelque chose que le cinéma peut restituer. J’avais envie d’explorer ses autres films et de les partager (j’en profite pour remercier Lucie Commiot et Condor Distribution). C’est avant tout une envie de partages, avec des choix les plus larges possibles.

De notre point de vue, un certain nombre de films sélectionnés cette année se distinguent par leur caractère chaleureux et bienveillant – des films aussi différents que First Cow, Corona Voicemails ou encore Irmã. Est-ce un sentiment que tu partages?

Évidemment la question de la représentation m’intéresse beaucoup, tout autant que la manière dont le public va aller à la rencontre des œuvres pour se faire son propre avis, sa propre analyse, construire sa propre image. Le Festival avait présenté en 2013 la première rétrospective en France de Kelly Reichardt, en sa présence, et Certain Women en 2016. On retrouve tout son cinéma dans son nouveau film qui est aussi une histoire d’amitié et une réflexion sur le capitalisme. En 2017, nous avons présenté la première exposition de l’artiste David OReilly. Son nouveau court-métrage est une expérience à part entière : il a ouvert une ligne téléphonique pour recevoir des messages vocaux dans lesquels les gens pouvaient lui confier leurs expériences liées au virus. Avec cette matière, il a inventé un logiciel capable de transformer ces voix en images, qui évoluent au fil des intonations. C’est une expérience méditative bouleversante et une façon très contemporaine de mettre en scène la parole et le témoignage. 

Dans un contexte aussi difficile pour la culture et le cinéma en particulier, en quoi la tenue d’un festival de cinéma d’auteur comme La Roche-sur-Yon revêt-elle une importance plus particulière ?

C’est bien sûr important, surtout en ce moment, de soutenir la culture, de la partager, de permettre aux spectateurs de venir voir les films (en toute sécurité comme évoqué précédemment) en espérant que certains films pourront continuer leur vie : nous présentons beaucoup de films sans distributeurs au Festival, l’année dernière Arizona Distribution avait pu y découvrir Eva en août qui est sorti cet été.

Est-ce que tu as noté des leitmotivs particuliers parmi les films de la sélection ?

Nous sommes un festival généraliste, pas thématique, nous faisons en sorte de montrer les pratiques les plus larges et diverses possibles, les points de vue, les approches les plus singulières possibles. Ce sera au public de se créer son fil rouge. Encore une fois c’est à chacun de le voir à sa façon, de fabriquer son image. Le fait d’être un festival généraliste et non thématique permet d’avoir une approche très large des choses.

Les clips sont toujours une partie importante du programme car ils représentent la transversalité propre au festival. Ils sont cette année particulièrement mis en avant avec une diffusion dans la salle de concert du Fuzz’Yon. Peux-tu nous en dire plus?

En effet, on tient à cette transversalité et on tenait à maintenir les séances au Fuzz’Yon. Évidemment, on ne pouvait pas avoir de concert cette année mais c’était important de continuer à collaborer avec les structures artistiques et de maintenir un lien fort entre les différents registres d’images, les différentes images en mouvement. On avait très envie de maintenir ce programme, qui a été confié à Nicolas Thévenin de Répliques et réClips.

Et toujours à propos de transversalité, peux-tu également nous présenter l’exposition dédiée au peintre Antonio Ligabue ?

Toujours dans cette recherche de transversalité et de décloisonnement entre les espaces, cette année nous proposons une exposition dans la continuité de celles organisées autour de l’artiste irlandais David OReilly et du collectif Meat Dept. Cette exposition est consacrée à Antonio Ligabue, à l’occasion de la présentation du film Je voulais me cacher de Giorgio Diritti qui a obtenu l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin. J’ai découvert  Ligabue à travers le film, et j’ai tout de suite eu envie de partir à la rencontre de ce peintre très connu en Italie, pas du tout en France. C’est seulement la seconde exposition qui lui est consacrée en France après celle organisée en 1982 à l’Institut Culturel Italien de Paris. C’est donc une chance assez rare de découvrir une sélection de ses œuvres, ainsi qu’un parcours visuel qui revient sur son travail avec des images d’archives et des films inédits en France. L’un des films qui accompagnera l’exposition, Lo Specchio, La Tigre e La Pianura de Raffaele Andreassi, a reçu le prix du meilleur court métrage à la Berlinale en 1961. Ce sont en tout 5 films inédits qui retracent le parcours de Ligabue. C’est un artiste avec une technique et un génie dans sa façon de retranscrire ce qui l’entoure avec un sens de l’observation fascinant. Dans une apparente simplicité, il parvient à toucher la profondeur des âmes.

>>> Nos recommandations pour cette 11e édition du Festival de La Roche-sur-Yon

Entretien réalisé par Nicolas Bardot et Gregory Coutaut le 8 octobre 2020.

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