Festival Music & Cinéma Marseille | Entretien avec Charlotte Devillers & Arnaud Dufeys

Révélation de la dernière Berlinale, On vous croit des Belges Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys fait sa première française cette semaine au Festival Music & Cinéma Marseille. Ce film raconte l’histoire d’une mère qui, devant des juges, doit défendre ses enfants de leur propre père. Les cinéastes signent un drame d’une tension intense et un passionnant film sur l’écoute. Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys sont nos invité.es.


Quel a été le point de départ de On vous croit ?

Le point de départ de ce film remonte à de longues discussions que nous avons eues alors que nous travaillions sur un autre projet de premier long métrage. Nous nous sommes particulièrement intéressé.es aux récits des mères protectrices, ces femmes qui déploient toutes leurs forces pour essayer de protéger leurs enfants et obtenir justice après les révélations d’agressions sexuelles faites par leurs enfants. Au fur et à mesure de nos rencontres avec des victimes, des responsables d’associations, ainsi que des acteurs du système judiciaire, nous avons pris conscience de l’ampleur du phénomène et de la façon dont les procédures dont nous parlons dans le film sont malheureusement courantes, avec souvent les dysfonctionnements qui génèrent chez les victimes de nouveaux traumatismes. Nous voulions mettre en lumière qu’au-delà le traumatisme que les victimes subissent du fait des agressions, beaucoup d’entre elles se sentent également maltraitées lors du long parcours des procédures judiciaires. Nous avons pris conscience qu’au lieu de protéger, la justice devient parfois un espace où les blessures sont ravivées.



Comment avez-vous travaillé avec vos actrices et acteurs pour un film qui est autant basé sur les dialogues ?

Notre film s’est construit autour d’un mélange d’acteurs professionnels, d’avocats de profession et des enfants. Pour nous, il était essentiel que tout le monde soit au même niveau de véracité et qu’ils soient toujours les plus convaincants possibles. Les castings et la préparation du film ont été pensés pour nourrir une véritable relation. Nous avons pour cela mis en place une série de rencontres sous forme d’improvisations entre Myriem Akheddiou et ses enfants fictifs. Cela leur a permis de se connaître, d’apprendre à fonctionner ensemble comme une famille. C’était aussi une manière pour nous d’observer leurs dynamiques et d’identifier les ressorts sur lesquels nous pourrions les faire agir ou réagir. Avec eux, nous avons vraiment abordé le jeu au sens premier du terme : au-delà du texte à restituer, chaque personnage a un objectif précis à atteindre.

Pour les personnages adultes entre eux, nous avons préparé le jeu sous forme d’entretiens tels que les avocats en ont dans leurs vies professionnelles avec leurs clients. Cela a permis de construire le background juridique qui préexiste au début de l’intrigue. Pour le tournage, nous voulions que chacun puisse s’appuyer sur une méthode de travail familière. Les avocats n’ont pas étudié le texte tel quel ; ils s’en sont servi pour préparer une audience comme ils en ont l’habitude dans leur pratique professionnelle. Les acteurs professionnels ont quant à eux travaillé leurs partitions au mot près. L’enjeu était donc de trouver pour chaque acteur le ressort émotionnel à exploiter pour enrichir l’interprétation. Pour le reste, nous avons laissé le dispositif faire son travail : nous avons choisi de filmer la scène principale du film en temps réel (55 minutes), avec trois caméras, ce qui a aussi permis de capturer des moments d’improvisation. L’aisance des avocats dans cet exercice a insufflé à chaque prise un nouvel élan d’imprévu, ce qui a permis aux acteurs professionnels de se laisser guider par ce qu’ils ressentaient réellement.



Comment avez-vous trouvé votre rythme idéal, est-ce que le montage a été une étape importante à ce propos ?

Trouver le rythme juste pour une scène aussi longue, perçue en temps réel, était effectivement un enjeu crucial du montage. Tout comme pour l’écriture, notre souci était de maintenir la tension tout au long du film, ainsi que l’attention des spectateurs. Dès le départ, nous savions que nous voulions garder de longues prises et rester de longs moments sur les visages qui écoutent, mais il était parfois difficile de résister à la tentation de couper. En réalité, la force rythmique du film s’est véritablement construite en affirmant ce choix de longueurs sur les plans d’écoute. Le jeu des acteurs était déjà suffisamment puissant, avec un rythme interne juste, mais la tension était parfois en dents de scie dans les prises complètes que nous avions tournées. L’enjeu principal a donc été de trouver l’assemblage le plus juste possible, notamment en termes de progression de la tension au sein même de chaque prise de parole. Cela a été particulièrement crucial pour Myriem, car sa prise durait 25 minutes. Il était donc essentiel que la progression se fasse de manière graduelle. Nous ne pouvions pas trop charger la barque dès le début.

Encore plus qu’un film sur la parole, On vous croit semble être un film sur l’écoute. Quelles questions vous êtes-vous posé au moment de mettre en scène cette dimension du film ?

Dès l’écriture, nous savions qu’il y avait un véritable enjeu à filmer longuement des visages qui écoutent, ceux qui reçoivent la parole et qui doivent se retenir de réagir immédiatement malgré la tentation de le faire. Nous voulions que le film soit avant tout un film sur la réception et l’impact de la parole, plutôt qu’un film de parole en soi. Très vite, nous avons donc imaginé le découpage comme une construction de plans d’écoute, qui allaient se rapprocher et se resserrer en étau sur les visages. Pendant la préparation et le tournage, nous craignions que l’idée de rester longuement sur des plans d’écoute empêche de vraiment écouter la parole de manière intelligible. Mais une fois au montage, nous avons réalisé que si nous parvenions à bien construire la tension et la compréhension des informations, cela fonctionnait vraiment bien.



Pouvez-vous nous parler de votre travail sur le décor, qui est extrêmement épuré, blanc et transparent ?

Notre inspiration première vient du Tribunal de Grande Instance de Paris. Nous voulions que notre film soit en phase avec cette volonté politique, ces dernières années, de créer des lieux de justice transparents et baignés de lumière, une représentation de la justice telle qu’elle devrait être vécue et perçue (cela implique, bien sûr, toutes les contradictions que soulève le fait de rendre visibles les dysfonctionnements d’une institution encore souvent trop influencée par des pratiques et préceptes du passé). En parallèle, nous souhaitions aussi rompre avec les représentations traditionnelles des lieux de justice dans les films. Nous savions que nous allions tourner un film qui serait essentiellement basé sur la parole et l’écoute, dans un seul et unique lieu, a priori statique. De plus, nous avions peu de moyens. Nous n’avons pas réussi à obtenir les autorisations nécessaires pour tourner dans un véritable lieu de justice, ce qui nous a obligé.es à trouver un lieu privé à louer. Avec toutes ces contraintes, nous avons voulu travailler une esthétique qui tende presque vers l’abstraction.

Il y avait quelque chose à créer à partir de cette idée, un peu comme un espace mental où l’on pourrait se perdre, à l’image de la représentation kafkaïenne des différentes procédures dans lesquelles Alice se noie. Le lieu principal dans lequel nous avons finalement tourné est un grand open-space, complètement vide et baigné de lumière grâce aux baies vitrées qui offraient une vue sur Bruxelles. Quand nous avons découvert cet espace, nous avons été immédiatement enthousiasmés par l’idée de faire croire à un cloisonnement de l’espace, en jouant sur le découpage, les axes de caméra et les objectifs que nous utilisions. Notre cheffe décoratrice et son équipe ont alors aménagé l’espace avec très peu d’éléments : quelques bancs, des chaises et un bureau qu’ils ont eux-mêmes construit et peint dans des tons beiges clairs, se fondant parfaitement dans le décor. Les cloisons que l’on perçoit à certains moments du film sont en réalité simplement un morceau de plexiglass placé avec soin devant la caméra, créant l’illusion de cloisons vitrées.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 27 mars 2025. Un grand merci à Estelle Lacaud.

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