Dévoilé en compétition au Festival de Locarno et au programme cette semaine du Carrefour du cinéma d’animation, Soleil gris de la Française Camille Monnier est un superbe court métrage dans lequel deux adolescentes se disputent autour d’une piscine tandis qu’autour d’elles la chaleur monte. Présélectionné pour les César, Soleil gris se distingue par une animation intelligemment dépouillée et expressive, ainsi qu’un remarquable sens du détail, du découpage et des dialogues. Camille Monnier est notre invitée.
Quel a été le point de départ de Soleil gris ?
L’ennui. C’était l’été, il faisait très chaud sur la terrasse de mes parents et je dessinais sans but. Je repensais à Sofia Coppola qui sait si bien représenter le spleen et la solitude. Je me suis dit que moi aussi, je voulais savoir raconter l’ennui sans ennuyer.
Je n’aimais pas trop écrire à cette époque-là et j’essayais de sortir des dessins pour comprendre où je voulais aller. J’ai imaginé un personnage avec un t-shirt et des savates trop grands et une piscine remplie de sacs plastiques. L’histoire est partie dans pas mal de directions différentes avant que je ne trouve le socle qui tiendrait la route : l’adolescence et la collapsologie, deux sujets qui parlent d’un effondrement. L’un de soi et l’autre d’un monde. C’était actuel, presque prémonitoire. En effet, quelques semaines plus tard, des mégas-incendies ravageaient la Californie et l’Australie… (Mais il faut voir le film pour faire le lien 😉 ).
Comment avez-vous souhaité exploiter narrativement le « vide » dans l’image, qui laisse une large place à l’imagination et est très évocateur ?
J’ai toujours été captivée par les déserts. Le vide est hostile. Quand il n’y a rien à part soi, c’est propice à l’introspection et c’est dans notre for intérieur que le combat se joue. Alors on se raccroche désespérément au moindre petit détail visuel, et un tout petit mouvement peut capter notre attention. Ce sont ces intentions que je voulais garder dans le graphisme du film. C’était assez challengeant de représenter le vide tout en représentant quelque chose. Pour ça, on a laissé le blanc du papier par endroit, on ne représentait pas toujours tout ou on animait juste un tout petit détail.
Aussi, un des mots d’ordre, c’était le lâcher prise. Il fallait que les décors et l’animation gardent un aspect « ébauche », pas trop propre. Mais ce qui devait être une liberté de la peinture est aussi devenu une prise de tête. En décors avec Clémentine Campos, on a gardé pas mal de peintures qui étaient des bouillons comme décors finaux. Parce qu’elles avaient quelque chose d’instinctif qu’on perdait quand on voulait les refaire au propre. On y ajoutait trop de détails, trop de chichis, alors que les brouillons, ils allaient à l’essentiel.
Votre utilisation des couleurs est à la fois discrète et expressive (le gris, le rouge). Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
J’ai été captivée par le making of de Dune de Denis Villeneuve. Denis y raconte que dans le désert, ce qui confère cet aspect de chaleur plombante, c’est le ciel blanc et non pas bleu, sans soleil. Du coup, j’ai pensé une palette assez restrictive avec des blancs teintés, sableux et des gris colorés. Je voulais qu’on ressente une lourdeur. Le passage de l’incendie tranche totalement avec le reste du film puisque tout est peint dans des tonalités de rouges. La peau grise, maussade des personnages, devient vibrante, rouge sang, vivante !
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Donc sans surprise, Sofia Coppola et Denis Villeneuve. Parce que l’une dépeint avec précision l’adolescence, la nostalgie et la solitude ; elle ose des plans qui tirent en longueur sans nous ennuyer. Et l’autre parce que j’aime TOUS ses films !
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?
Je repense souvent au film Memoria de Apichatpong Weerasethakul sans vraiment savoir expliquer pourquoi. Le bruit du « boum » m’est resté en mémoire et j’ai souvenir d’avoir beaucoup aimé les plans contemplatifs, cet espace-temps entre réalité et onirisme. Il y a un petit quelque chose de Haruki Murakami dans ce film…
Mais à vrai dire, ça fait un long moment que je ne suis pas allée à un festival de cinéma, et c’est là en général que je découvre des pépites qui me marquent et ravivent ma soif de raconter des histoires. Alors je suis contente que Soleil Gris m’emmène à Locarno !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 août 2024. Un grand merci à Marc Faye.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |