Révélé au Festival de Rotterdam et sélectionné cette semaine au Transilvania Film Festival, le Norvégien Anders Emblem réalise avec A Human Position une perle minimaliste dont l’héroïne est une jeune journaliste en plein doute existentiel. Ce film chaleureux et élégant révèle un talent à suivre – et une star plus inattendue : un chat nommé Floppy. Anders Emblem est notre invité.
Quel fut le point de départ de A Human Position ?
Je peux me lancer dans de nouveaux projets de façon très libre, et ce à différents niveaux. Cela peut être des images et des lieux que je découvre, ou le désir de travailler à nouveau avec Amalie, ou le fait de savoir que j’allais rénover et utiliser mon propre appartement pour l’emplacement principal de tournage. Ou par exemple que je savais que j’allais adopter un chat. Comme le budget est pratiquement inexistant, je regarde tout ce que j’ai (ou ce que je n’ai pas), et j’écris le scénario en gardant cela à l’esprit. De cette façon, je peux tirer parti du manque de ressources.
De plus, je réfléchis depuis longtemps à la façon de traiter du sentiment de l’injustice. Comment accepter d’être traité injustement, ou simplement faire face à une mauvaise situation qui n’est pas de votre faute, mais dont vous devez encore gérer les conséquences. À partir de là, est arrivée l’idée simple que de nouvelles perspectives venant des autres peuvent aider à voir votre vie sous un jour différent.
L’idée pour l’histoire secondaire du film était liée au système d’asile. Pendant de nombreuses années, j’ai remarqué des articles dans les journaux sur les demandeurs d’asile et leur mauvais traitement par le gouvernement. Mais pour nous qui vivons ici, il est très difficile de comprendre les lois et le système, et la plupart des demandeurs d’asile deviennent donc des invisibles de la société. C’est presque comme si le système maintenait volontairement les gens dans la confusion, et ce n’est pas juste. Je voulais recréer cette confusion et cette distance que nous avons en tant que société, mais j’espère quand même montrer une certaine sympathie et faire un peu de lumière là-dessus. L’idée était toujours que nous, en tant que société, ne voyons pas les problèmes juste devant nos yeux.
Votre utilisation de la lumière est d’une délicatesse chaleureuse et émouvante. Comment avez-vous appréhendé le style esthétique que vous souhaitiez donner à cette histoire ?
J’ai décidé il y a un moment que je ne voulais faire des films qu’en été en Norvège, et une grande partie de cela est motivé par la lumière incroyable que nous avons à cette période de l’année. Je veux donc utiliser autant de lumière naturelle que possible, être plutôt prudent avec la lumière artificielle et essayer d’utiliser un éclairage négatif pour manipuler la lumière naturelle si possible. Par ailleurs, je voulais que le film soit traversé par une sensation estivale lumineuse et positive, en contraste avec la mélancolie. Comme une grande chanson intemporelle.
Le style visuel général est quelque chose que j’ai trouvé naturellement. Je veux créer un type de réalisme à travers des images statiques et soigneusement encadrées. Il y a une frontière subtile entre les images artificiellement construites, et la façon de laisser le temps prendre naturellement le dessus sur l’image et atteindre autrement une forme de réalisme.
Qu’ils s’agisse des intérieurs confortables ou bien de la ville elle-même, les lieux jouent un rôle fondamental dans A Human Position. Sur quels critères les avez-vous sélectionnés ?
Le lieu principal m’accompagne depuis un certain temps, et comme j’ai rénové l’appartement moi-même (avec mon père), je pouvais l’adapter à la façon dont je visualisais le film. Heureusement, c’est aussi comme ça que je voulais que l’appartement soit dans la vraie vie.
Les emplacements extérieurs sont des endroits trouvés en me promenant dans la ville. J’ai besoin de trouver des lieux et de les cadrer d’une manière qui puisse convenir au style général. Ålesund est une belle ville, surtout par beau temps, mais j’essaie de ne pas utiliser les motifs touristiques les plus typiques. Connaître la ville depuis toujours m’a aidé à mieux la représenter, je pense. J’espère.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce chat qui crève l’écran à chaque apparition ?
Son nom est Floppy, car elle court souvent sur le sol de la cuisine en gigotant (flopping, ndlr) quand je rentre à la maison. J’ai préparé son adoption un mois avant le tournage, quand j’ai emménagé dans l’appartement. De cette façon, elle pouvait se sentir à l’aise avec moi et son nouveau territoire, ainsi que l’équipe.
L’idée était de la laisser se promener, de la laisser naturellement aller et venir dans les images du film. Donc, à l’exception de quelques scènes où il a fallu un certain temps pour bien faire les plans, nous espérions juste qu’elle accepte d’entrer dans le cadre et d’être mignonne. Et elle a fait du bon travail avec ça !
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
J’ai de nombreuses influences, mais j’ai tendance à toujours revenir à certains cinéastes avec des idées claires sur leur langage cinématographique. Historiquement, j’ai tendance à beaucoup faire référence à Ozu, et si je dois choisir un cinéaste contemporain, je choisis toujours Kelly Reichardt. J’ai un grand amour pour le cinéma indépendant américain, et des cinéastes comme Jim Jarmusch, Wes Anderson ont joué un rôle important en m’influençant très tôt.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose d’inédit ?
Je ne peux pas dire que j’ai fait mes devoirs ces dernières années, et ce n’est que l’an passé que j’ai découvert mon premier film de Sean Baker, The Florida Project, et cela m’a vraiment marqué. Il y a un étrange sentiment de liberté, mais toujours un langage cinématographique complet et fort. Le film porte en lui l’esprit des indés américains, qui fait que vous êtes intrigué par la façon dont il a réussi à le faire un truc pareil. Au Festival de Tromsø, j’ai vu à la fois Red Rocket et Tangerine, et il est vraiment doué pour nous présenter un environnement, une culture invisibles, et nous laisser l’explorer pendant un moment.
>>> A Human Position est disponible sur Mubi
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 25 janvier 2022. Un grand merci à Brigitta Portier. Source photo Floppy / Source portrait
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