« Une crise de nerfs cinématographique » : c’est ainsi qu’Alex Ross Perry a imaginé Her Smell. Pour sa troisième collaboration avec son égérie Elisabeth Moss, le cinéaste new-yorkais a imaginé cette dernière en chanteuse punk, icône du mouvement Riot Grrrl en plein burn out. Un rôle en or, à la hauteur de leur talent à tous les deux.
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Vous décrivez Her Smell comme l’équivalent cinématographique d’une crise de nerfs, mais n’est ce pas quelque chose qu’on pourrait dire à propos de tous vos films ?
C’est vrai que dans mes films, je m’amuse souvent à créer de l’angoisse, à la fois dans et autour des personnages, et j’ai toujours souhaité retranscrire cela au mieux au moyen de ma caméra. Cette fois je voulais aller encore plus loin qu’auparavant. Je voulais que ça explose ! Je voulais que les spectateurs n’aient pas d’autre choix que ressentir ce que ressentent les personnages ; sans ça leurs motivations et leurs décisions brutales seraient difficiles à comprendre. Je voulais que l’angoisse ne se retrouve pas seulement dans les attitudes des personnages ou dans leurs dialogues, mais dans la mise en scène elle-même. Et dans la musique aussi, bien sûr.
La manière dont vous utilisez la caméra est en effet très différente de vos précédents films. C’est la première fois que vous utilisez une steadycam. Cette envie de nouveauté technique, vous l’aviez dès le départ du projet ?
Oui, et les mouvements de la steadycam étaient déjà écrits dans le scenario, donc l’idée remonte à loin. Dans chacun de mes films, la caméra fait quelque chose de bien différent, et Her Smell était l’occasion idéale de tester enfin cette technique qui m’intéressait beaucoup. Si j’ai souhaité utiliser la steadycam, c’est par admiration pour le maestro en la matière : Paul Verhoeven. Quel chef, et je pèse mes mots. J’ai spécialement revu Showgirls et Basic Instinct pour m’inspirer de la manière dont il filme les foules dans des boites ou dans des longs couloirs.
C’est également la première fois que vous faites entièrement construire un décor, plutôt que d’utiliser un lieu préexistant. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
C’était presque la première fois, mais pas tout à fait. Vous savez, c’est toute une histoire pour avoir l’autorisation de tourner à New York, même lorsqu’il s’agit de ne filmer qu’un placard dans un appartement. La plupart du temps, on doit se contenter de tourner une seule journée, et pas plus. Or, pour Golden Exits, j’avais fait construire la pièce qui sert de bureau, parce que je souhaitais y tourner plus longtemps, j’avais envie de m’amuser et d’être davantage libre. Et de fait, on est resté à tourner plus d’une semaine dans ce décor.
Je voulais éviter de me retrouver à aller visiter une vingtaine de salles de concert, et de devoir calculer lesquelles étaient libres au bon moment, lesquelles étaient dans nos prix, lesquelles n’accueillaient pas de concerts au moment du tournage… Et puis les allers et retours des personnages sont très importants, et donc ceux de la caméra qui les suit aussi. C’était donc important d’avoir une loge avec le bon nombre de portes aux bons endroits. Je savais que ce serait trop compliqué, donc j’ai préféré construire le décor qui corresponde à mon scénario et, au final, il n’y a aucun compromis dans le moindre plan du film.
Ces scènes devaient être très chorégraphiées, c’est quelque chose que vous aviez déjà fait par le passé ?
Elles étaient extrêmement chorégraphiées. Ça encore, ça m’est venu de Verhoeven, mais pas seulement. Ces dernières années, je suis allé voir pas mal de théâtre et de comédies musicales sur scène, ça m’a beaucoup apporté. Si je voulais que le moindre pas soit chorégraphié, c’était pour que les actrices se sentent libres dans leur interprétation. Elles avaient un filet de sécurité sous elles, elles pouvaient se lâcher et plus rien ne pouvaient les arrêter.
Les comédies musicales ont elles également influencé votre travail de scénariste ?
Oui un peu. La structure du récit en cinq actes vient de là. De même que les changements de décor à chaque acte. Les formules du cinéma sont bien plus convenues que celle du théâtre. Il y a quelque chose de très imprévisible dans un spectacle sur scène. On a beau connaître le texte d’une pièce, la mise en scène peut tout changer. J’ai par exemple revu Le Roi Lear récemment, et dans cette mise en scène, la moitié de la pièce se passait dans un salle de banquet.
En général, les films ont plus ou moins le même nombre de décors. Ici, le film commence dans une loge, et 5, 10 minutes après, on se rend compte qu’on y est encore. 15, 20 minutes après, pareil. On commence à se demander si tout le film va rester dans cette pièce. Ne plus savoir à quoi s’attendre, ça c’est excitant.
Et puis, je ne voulais pas non plus écrire des dialogues de cinéma, ce type de dialogues qui sont uniquement là pour tout expliquer artificiellement au spectateur. Par exemple « Tu te rappelles quand tu as rejoint le groupe il y a cinq ans ? ». Ici, tous les personnages se connaissent depuis des années, au moins de réputation. Ils ne parlent que du moment présent, et je crois bien que ça aussi ça génère une perte de repère et une angoisse supplémentaire.
Her Smell et en effet très différent d’un biopic musical, avec sa narration convenue et ses passages obligés.
Exact, si vous racontez un histoire vraie, vous vous retrouvez obligé de raconter quasiment tous les événements, parce que les spectateurs connaissent déjà l’histoire. Si vous omettez une scène connue, ils vont s’attendre à ce que vous y fassiez au moins référence. Certains détails du film ont beau s’inspirer de vraies personnes telles que David Lee Roth ou Axl Rose, Her Smell n’est pas basé sur une histoire vraie. C’est comme ça que j’ai pris la liberté de me passer de tous les clichés du biopic : le grand comeback, l’enregistrement du tube qu’on aime tous…
Comment avez vous choisi les chansons que l’on entend dans le film, aussi bien les reprises que les originales ?
Pour les chansons originales, je voulais uniquement des compositrices, et je souhaitais qu’elle soient soient familières de cette scène musicale, qu’elles puissent pressentir qui était le personnage. Les reprises avaient un rôle révélateur bien spécifique, même si leur choix a pas mal changé. J’écoutais pas mal de disques en écrivant le scénario, et il m’arrivait de tomber sur des paroles de chanson où je me disais « c’est exactement ce que ressentirait et chanterait l’héroïne ».
Charles Manson a enregistré un album à la fin des années 60, et il a été édité en CD au début des années 90. C’est un disque que beaucoup de gens admiraient dans la scène punk de l’époque. Axl Rose en reprenait souvent des chansons, et il portait même un t-shirt à l’effigie de Manson. Ça nous paraissait logique, et même lourd de sens, que le personnage d’Élisabeth écoute ce disque, connaisse les paroles et fasse une reprise.
Vous avez écrit le scénario spécifiquement pour Elisabeth Moss ?
Oui, c’est notre troisième film ensemble. La première fois (dans Listen Up Philip, ndlr) je me suis dit que j’avais beaucoup de chance qu’elle accepte ce qui était un second rôle. Pour Her Smell, j’ai commencé à lui parler du personnage que j’avais en tête pour elle, et elle a immédiatement accepté, alors même que je n’avais même pas commencé à écrire le scénario.
Etiez-vous tous les deux autant familiers l’un que l’autre de la scène musicale Riot Grrrl ?
Moi oui, j’écoutais beaucoup ces disques-là à l’époque. Elisabeth en revanche, pas du tout.
Vous lui avez fait des playlists ?
Tout à fait, je lui ai envoyé des playlists, des CD, des photos…
Avez-vous regardé The Punk Singer, le documentaire de Sini Anderson consacré à Kathleen Hanna ?
Je l’avais vu, mais pas Elisabeth. Cela fait effectivement partie de ce qu’elle a rattrapé pour se familiariser avec cet univers. Je crois que depuis, elle dit en interview que ça l’a énormément inspirée.
Je ne l’ai réalisé qu’après coup, mais Adam Horowitz, le mari de Kathleen Hanna jouait d’ailleurs dans votre précédent film, Golden Exits. A-t-il vu Her Smell ?
Le monde est petit, c’est vrai. S’il a vu le film, il ne me l’a pas dit.
Comment avez-vous constitué le reste du cast autour d’Elisabeth Moss ?
Elisabeth est une immense actrice, qui joue une immense musicienne, je me doutais que ce serait une immense performance, il fallait donc être a la hauteur. C’est pourquoi je voulais des actrices professionnelles qui aient des bases en musique et non pas l’inverse, à savoir de musiciennes professionnelles devenues actrices, même si elles étaient très charismatiques. J’ai eu beaucoup de chance.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de vraiment neuf au cinéma ?
Suspiria. Alors même que je connais bien l’original, et que je connais aussi les autres films de Luca Guadagnino, le film est rempli à ras bord d’aspects inattendus. Visuellement bien sûr, mais aussi en termes d’écriture. Toute les vingt minutes environ, je me répétais « je n’avais jamais vu ça ». Et quel final !
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 24 juin 2019. Un grand merci à Chloé Lorenzi.
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