Entretien avec Agustina Comedi

Avec son émouvant court métrage Playback, la réalisatrice argentine Agustina Comedi a remporté le Teddy Award à la Berlinale 2020. A travers une compilation d’images VHS, elle y dresse le portrait flamboyant et galvanisant d’un groupe de femmes trans et de drag queens en lutte dans l’Argentine catholique et conservatrice des années 80. Le film est désormais visible sur Mubi. Agustina Comedi est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ du film ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Il y a quelques années, alors que j’étais déjà en train de monter mon film précédent Le Silence est un corps qui tombe, j’ai rencontré Delpi. Delpi, qui joue dans Playback, était la partenaire de mon père avant que celui-ci n’épouse ma mère. Elle fut l’une des créatrices de Grupo Kalas et elle a vécu dans sa chair la persécution subie par la communauté travestie/trans en Argentine. L’épidémie de VIH, dans les années 80 et 90, a mis fin à la vie de beaucoup d’entre elles, et Delpi est aujourd’hui l’unique survivante du groupe. Son histoire est un témoignage d’amitié et de résilience. En outre, j’étais intéressée par l’idée de travailler avec les images d’archives de toutes ces nuits. En regardant ces images, elle et La Kolo (qui est morte alors que nous étions en train de monter le film), laissaient aller leur imagination et leurs fantasmes, et ça aussi c’est un exercice qui m’a fascinée. Elles inventaient sans cesse des anecdotes et des fins heureuses pour leurs amies. L’imagination était pour elles une autre forme de mémoire.



Comment écrit-on un film lorsque celui-ci est principalement basé sur des images d’archives ? Les images dictent-elles le développement du récit ou est-ce l’inverse ?

Je pense que c’est un travail simultané : les matériaux suggèrent des voies possibles et le récit achève de les délimiter. Il y a quelque chose de merveilleux dans le processus créatif, c’est qu’en réalité ces deux aspects ne peuvent pas être scindés, parce que d’une certaine manière ces images sont déjà elles-mêmes le produit d’un récit. Je pense qu’il s’agit de trouver les traits dans le matériau d’origine, dans les images, mais pour pouvoir les articuler il faut puiser dans la transmission orale de cette mémoire, c’est à dire dans le récit.

Pouvez-vous nous parler de la dimension politique importante de votre film ?

Les membres de la communauté travestie/trans en Argentine ont une espérance de vie de 35 ans. Il existe depuis 2013 une loi très complète sur l’identité de genre et qu’elle respecte non seulement le droit à l’identité mais garantit également tous les processus médicaux nécessaires gratuitement, afin que ceux qui le souhaitent puissent accéder à tout ce qui est nécessaire en termes d’hormones, de chirurgies et d’autres processus médicaux. Cependant la communauté souffre encore de la précarité, de la difficulté d’accéder à l’emploi, de la stigmatisation, et de la violence que la transphobie engendre – il y a des centaines de transféminicides chaque année qui ne sont pas relayés pas dans les médias. C’est pourquoi comprendre l’histoire de la communauté, ses formes de résistance, la beauté qu’ils et elles mettaient en scène, c’ était pour moi l’argument central qui m’a poussée à réaliser Playback.



Qui sont les cinéastes que vous admirez et/ou qui vous inspirent ?

Beaucoup, et encore beaucoup d’autres. Chez les Français je pourrais vous nommer Godard, Marker, Varda, Vincent Meessen, Sylvain George. Chez les Argentins : Lucrecia Martel, Andrea Testa, Matías Piñeiro, Teddy Williams.

Quand avez-vous eu l’occasion pour la dernière fois de découvrir un nouveau talent, quelque chose de nouveau devant un film ?

Hier. J’ai la chance d’être accréditée au festival de Sheffield, dirigé par Cintia Gil et sa très grande équipe de programmateurs et programmatrices. J’y ai vu des films fabuleux, il existe de grands cinéastes qui font actuellement cinéma radical qui repousse les limites et qui nous redonne un peu la foi.


Playback est disponible sur Mubi

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 10 juin 2021. Merci à Anne-Lise Kontz. Crédit photo : © Catalina Bartlomé.

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