Ce documentaire retrace le parcours singulier de Showgirls, d’abord considéré comme un objet de dérision avant d’être vu aujourd’hui comme un chef d’œuvre culte.
You Don’t Nomi
États-Unis, 2019
De Jeffrey McHale
Durée : 1h32
Sortie : 02/07/2020 (en vod)
Note :
RETOUR DE FLAMME
Il y a bientôt 25 ans, Showgirls de Paul Verhoeven sortait en salles sous un déluge de quolibets. Il a rapidement été « admis » qu’il s’agissait d’un naufrage total par un réalisateur, un scénariste et une actrice qui, pauvres d’eux, ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Le documentaire You Don’t Nomi, qui revient sur la destinée assez unique de ce film pas banal, s’ouvre par une espèce de concours du critique le plus malin – car en 1995, l’affaire Showgirls semble entendue, il s’agit maintenant de trouver le meilleur bon mot. Chez Roger Ebert, on semble se pincer le nez pour parler du film, mais les papas-papys de la critique passent quand même un peu de temps à se poser cette question hautement cinéphile : « laquelle des actrices est la plus émoustillante ? ». Le premier enseignement de You Don’t Nomi, c’est qu’au concours du critique le plus malin, il y a eu à l’époque assez peu de gagnants.
Le documentaire n’est pourtant pas qu’une hagiographie revancharde. Oui, Showgirls ressemble à un « sex cartoon » écrit par un ado excité qui se demande comment les adultes se comportent lorsqu’ils baisent. Oui, le segment rape & revenge du film correspond aux fantasmes simplistes et faussement féministes de ce sous-genre. Mais Jeffrey McHale observe aussi minutieusement ce qui a pu faire du film un angle mort pour une large partie de la critique et du public. D’abord ce mélange de genres improbable, avec un film qui peut être une fantaisie sexy mais aussi un vrai drame, un spectacle super-vulgos mais aussi une comédie légère. Rien ne peut être petit ou ennuyeux dans Showgirls ; cela s’applique au spectacle à l’écran comme aux sentiments suscités lors du visionnage.
L’une des pistes explorées par You Don’t Nomi, et évoquée notamment par la drag queen Peaches Christ, est la dimension queer et camp du film. Son sens de l’exagération (tout en étant fidèle à son sujet) et son amour du kitsch sublime font dévier ce spectacle pour hétéros (des femmes sexy se dénudent sur scène pour leurs spectateurs essentiellement mâles) vers une effusion queer décomplexée. Gina Gershon elle-même confie avoir joué son personnage de Cristal comme une drag queen. De plus, comme le démontre le documentaire, Nomi Malone suit un schéma de développement et d’émancipation parfaitement gay. « This isn’t for you, this is for us » commente Christ, et il est vrai qu’encore aujourd’hui la critique comme le grand public aura bien du mal à prendre au sérieux un film dont les codes ne s’inscrivent pas dans ceux d’un cinéma exclusivement hétéronormé et centré.
You Don’t Nomi aborde d’autres thématiques qui ont davantage été traitées ces dernières années, comme celle du miroir social cinglant tendu par Verhoeven et Eszterhas au public américain. Le doc va plus loin dans son observation du message d’empowerment véhiculé par Showgirls, qui diffère totalement des conventions traditionnelles en termes d’écriture des personnages féminins. Le pouvoir s’acquiert par le sexe, et le doc de Jeffrey McHale établit un pont avec toute la filmographie de Verhoeven. Le cinéaste ne sait pas ce qu’il fait en réalisant Showgirls ? Au contraire, You Don’t Nomi montre que le film n’est jamais un accident et qu’il constitue une pièce cohérente avec ses autres longs métrages. Eux aussi souvent compris de travers, qu’il s’agisse de Robocop, Basic Instinct ou Starship Troopers. La différence avec le rejet massif et les ricanements subis par Showgirls ? Les Américains semblent comprendre un peu mieux lorsque Verhoeven veut faire de la satire en utilisant la violence, mais lorsqu’il utilise le sexe, il ne peut être qu’un pervers.
You Don’t Nomi, avec son jeu de mots, invite à une certaine humilité. Le film ne fait pas la leçon, mais il met en lumière combien ce qui semblait évident hier ne l’est plus aujourd’hui. C’est aussi un témoignage attachant qui réhabilite cet énorme morceau de contre-culture – alors que les Oscars célébraient cette année-là des Braveheart et des Apollo 13, You Don’t Nomi écrit une autre histoire de cinéma.
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par Nicolas Bardot