Berlinale | Critique : Where the Night Stands Still

Après des années de séparation, trois frères et sœurs philippins, tous travailleurs domestiques en Italie, se rencontrent dans la villa dont l’une des sœurs a hérité. Au fur et à mesure que la nuit, les retrouvailles tant attendues remuent de vieux souvenirs, mais réveillent également des tensions enfouies.

Where the Night Stands Still
Philippines, 2025
De Liryc Dela Cruz

Durée : 1h15

Sortie : –

Note :

DU CÔTÉ DE CHEZ SOI

C’est dans la paisible quiétude d’un palazzo italien coupé de l’agitation quotidienne que se déroule Where the Night Stands Still. Ici, à l’abri des regards, le quotidien se déroule sur un tempo apaisé et tranquille : Lilia, une dame philippine aux cheveux blancs, se lève en prenant son temps, balaie sa demeure vide en prenant son temps, et de façon générale elle prend son temps lentement. Pourtant, le noir et blanc dans lequel est filmé tout ceci n’est pas de ces noirs et blancs à la raffinerie glacée. Le contraste est poussé fort, juste ce qu’il faut de trop pour installer un léger voile d’étrangeté tout en conservant une normalité apparente. Qu’est-ce qui pourrait bien clocher pour l’héroïne alors qu’elle reçoit justement aujourd’hui la visite de son frère et de sa sœur qu’elle n’a pas vus depuis longtemps?

Cette villa un peu décrépie mais quand même imposante, au parc privé et de belle taille, appartenait jusqu’ici à la patronne de Lilia qui, on le comprend alors, était probablement femme de ménage ou infirmière à domicile. Récemment décédée, cette femme riche et sans famille lui a tout légué, fortune comprise. Lilia a-t-elle touché le jackpot rêvé de tout employée de maison ? C’est ce que croient son frère et sa sœur, dont la jalousie se devine à demi-mots derrière leurs questions sur la vraie relation qu’elle pouvait entretenir avec sa patronne. Voilée d’un deuil sincère, Lilia n’a pourtant pas du tout la tête à compter ses millions. Where the Night Stands Still raconte, un jour et une nuit durant, les retrouvailles contrariées de cette fratrie où chacun a connu un déracinement violent et une difficile intégration à un monde du travail occidental qui ne leur accorde que peu de dignité, au point de saboter leur sens de l’empathie et de la solidarité.

Il y a quelque chose de trop évident à invoquer le nom de Lav Diaz devant un film philippin sous prétexte que celui-ci est en noir et blanc. Le parallèle se fait pourtant de plus en plus logique à mesure des discussions des protagonistes. Quand les personnages ne profitent pas de l’immense jardin pour un sieste au soleil, ils échangent en effet avec philosophie sur leurs traumatismes personnels et collectifs (« j’ai oublié la souffrance que c’était d’être philippin », « j’ai l’impression que le ciel n’est pas à nous »). Where the Night Stands Still a beau être d’une durée modeste, il est bâti sur certains partis pris radicaux (pas de dialogue pendant les quinze premières minutes, un contraste d’image si fort qu’il gomme parfois les traits de acteurs) mais possède également la mystérieuse élégance d’un film de manoir hanté.

Il est en effet beaucoup question de mort dans ce récit, de passage de l’autre côté, à tel point qu’on se demande si ces personnages-là ne seraient pas des allégories fantomatiques. Jusque dans son dénouement abrupte et énigmatique à la fois, qui a de quoi glacer les spectateurs bercés par le rythme placide du film, Where theNight Stands Still laisse une large part à l’interprétation en dépit d’une trame somme toute très simple. Si la mise en image menace de devenir un peu anxiogène par moments, cette histoire de travailleurs philippins pauvres devenus uniques résidents d’un bâtiment historique européen demeure une parabole incisive sur la décolonisation.

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par Gregory Coutaut

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