Critique : Vers la lumière

Misako aime décrire les objets, les sentiments et le monde qui l’entoure. Son métier d’audiodescriptrice de films, c’est toute sa vie. Lors d’une projection, elle rencontre un célèbre photographe dont la vue se détériore irrémédiablement. Naissent alors des sentiments forts entre un homme qui perd la lumière et une femme qui la poursuit.

Vers la lumière
Japon, 2017
De Naomi Kawase

Durée : 1h41

Sortie : 10/01/2018

Note : 

AU LOIN, LES LUMIÈRES

Il y a souvent chez Naomi Kawase ce motif de la danse qui dans ses films intervient à des moments clefs. Ce sont des instants où les personnages sont transportés ailleurs (la danse avec l’épouse défunte et retrouvée de La Forêt de Mogari, la danse qui accompagne les derniers instants de la mère dans Still the Water), se libèrent et se reconnectent à la vie (la danse exutoire sous la pluie de Shara). Dans Vers la lumière, nouveau film de la cinéaste japonaise, il n’y a pas de danse – mais une sublime séquence en particulier y fait écho. L’héroïne retrouve sa mère, se pose à côté d’elle dans un plan qui semble échappé de Suzaku, et écoute les bruits de la nature, comme penchée à son chevet.

S’il y a une danse ici, elle est immobile, les yeux fermés ; il y a une musique mais celle-ci s’adresse avant tout à l’imaginaire, à ce qu’on ressent mais qu’on ne peut pas voir. Dans un précédent entretien, Naomi Kawase nous indiquait au sujet de Still the Water : « Il y a deux fenêtres, celle que vous ouvrez sur le monde – le monde visible. La deuxième fenêtre, c’est celle qui s’ouvre vers l’invisible ».

L’invisible a toujours occupé une place essentielle chez Kawase. C’est une cinéaste du ressenti et du souvenir, c’est une cinéaste-photographe mais attachée à ce qui s’efface, c’est une cinéaste de la mort mais dont les films pourtant se questionnent et se concentrent sur les forces de la vie. Ce n’est pas une surprise de la voir traiter dans son nouveau film de « la beauté et la tristesse des choses qui périssent », de la perte de ce que l’on a de plus cher – ici la vue pour l’un de ses protagonistes, photographe.

Vers la lumière, à l’image de Still the Water et Les Délices de Tokyo, est un film plus écrit que ses précédentes créations plus impressionnistes, où la caméra servait de stylo. C’est aussi un film qui n’a pas peur d’embrasser pleinement le mélodrame – et ce n’est pas un gros mot. La réalisatrice parvient avec Vers la lumière à un équilibre qui n’est pas si fréquent : signer un film d’auteur (qui transpire de ses thématiques et de son esthétique) tout en livrant un cinéma populaire.

En s’ouvrant à un plus large public, la cinéaste n’oublie pas d’explorer l’intimité de ses personnages. Il y a un regard comme toujours superbe posé sur les humains chez Kawase. Cela peut être des visages en gros plans saisis à la volée dans la rue lors des vifs premiers instants du long métrage. Ce sont au contraire des ombres, celles d’une vieille photo à contre-jour, celle de la mère filmée à chaque apparition comme un spectre qui menace de s’évanouir. Ce sont surtout ses deux personnages principaux, elle qui voit et lui qui entend. La scène d’aveuglement (et celle qui suit, sur le pont) font parties des moments les plus poignants vus ces derniers temps au cinéma.

« Rien n’est plus beau que ce qu’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître » – Kawase incarne cette réplique par sa mise en scène, à travers des personnages qui pourtant ne cherchent pas à séduire. Mais qu’elle baigne dans la douceur de sa lumière, dans une sensibilité qui n’appartient qu’à elle. Le plus beau plan de Vers la lumière, et qui restera comme l’un des plus beaux de sa précieuse filmographie, est précisément celui… d’une photo floue.

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par Nicolas Bardot

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