Festival de La Roche-sur-Yon | Critique : Toxic

Rêvant d’échapper à la morosité de la ville industrielle où elles sont nées, Marija et Kristina, 13 ans, nouent une relation singulière à l’école locale de mannequinat, où la promesse d’une vie meilleure pousse les adolescentes à violenter leur corps de façon toujours plus extrême.

Toxic
Lituanie, 2024
De Saulė Bliuvaitė

Durée : 1h39

Sortie : –

Note :

BELLES A MOURIR

« T’as vu comment elle marche avec son maillot de bébé ? C’est une boiteuse ». Voilà le type de raillerie subie par l’une des jeunes héroïnes de Toxic, premier long métrage de la Lituanienne Saulė Bliuvaitė. Cela pourrait d’ailleurs être le postulat d’une fable : l’histoire qu’on va nous raconter est celle de l’apprentie mannequin qui boite. Dans la ville industrielle et oubliée où vivent Marija et Kristina, il y a une école de mannequinat. Celle-ci symbolise le seul horizon, le seul espoir d’échapper à la damnation éternelle pour les adolescentes. L’exercice du catwalk y est filmé comme un rituel et tout, dans le quotidien, revêt une dimension dramatique – toute chose mérite qu’on se batte comme des chiffonnières en pleine rue.

Saulė Bliuvaitė a un talent percutant pour dépeindre ce décor. Dans quelle prison les jeunes femmes vivent-elles, quel est cet endroit lugubre où elle doivent néanmoins apprendre à défiler et être glamour ? La ville ne ressemble plus qu’à une longue ruine, on regarde à travers des grillages, on y est incarcéré. Deux adultes, qui s’écharpent après un plan cul raté, sortent d’une maison, et même à l’extérieur le lourd ciel orageux au-dessus de leurs têtes ressemble à un plafond prêt à les écraser. Le caméra de Bliuvaitė, régulièrement placée au loin, au fond d’une salle ou au fond d’une cour, met en lumière le contexte social et géographique qui entoure les personnages.

Pourtant, rien ne fait peur à Marija et Kristina. L’une d’entre elles porte son t-shirt « Plus puissante que Satan » comme une armure. Les héroïnes sont prêtes à tout, et Saulė Bliuvaitė filme leurs mésaventures en s’approchant du body horror (vers solitaires pour maigrir, parasite dans les yeux, piercing réalisé entre deux portes de chiottes). Une chorégraphie paraît dupliquer celles du Suspira de Luca Guadagnino. L’image est brute et parfaitement réaliste, pourtant une scène de course filmée dans les bois ressemble comme deux gouttes d’eau à une échappée de film d’horreur.

Toxic évoque la rencontre entre Clip de la Serbe Maja Milos et le cinéma de l’Autrichien Ulrich Seidl. De la première, il y a ici le portrait d’une jeunesse livrée à elle-même, dépeinte avec une brutale honnêteté. Du second, il y a cet ample portrait d’une Europe fantôme – un enfer aux cadres puissamment composés comme lors de cette image extraordinaire où les héroïnes sont hagardes et exsangues dans l’herbe tandis que les voitures filent sur l’autoroute voisine. Saulė Bliuvaitė met en scène avec tension la survie de personnages trop jeunes pour un tel combat : Marija et Kristina sont convaincues qu’elles abattent leurs dernières cartes alors qu’elles ne sont même pas majeures. C’est pourtant là la cruelle réalité saisie par la cinéaste : celle d’un monde où les règles sont conçues pour qu’elles perdent.

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par Nicolas Bardot

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