Critique : Toute la beauté et le sang versé

Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États-Unis et dans le monde. Toute la beauté et le sang versé nous mène au cœur de ses combats artistiques et politiques, mus par l’amitié, l’humanisme et l’émotion.

Toute la beauté et le sang versé
Etats-Unis, 2022
De Laura Poitras

Durée : 1h57

Sortie : 15/03/2023

Note :

LA BEAUTÉ DU GESTE

On a pu remarquer le travail de la cinéaste et journaliste Laura Poitras notamment avec Citizenfour, un documentaire consacré à Edward Snowden et lauréat d’un Oscar en 2015. Avec son nouveau film, Toute la beauté et le sang versé (qui a remporté le Lion d’or à la dernière Mostra de Venise), Poitras s’attache à un autre combat politique : celui mené par l’artiste Nan Goldin contre la famille Sackler, directrice de la société pharmaceutique Purdue Pharma. Les Sackler ont joué un rôle majeur dans la crise des opiacés qui a fait des centaines de milliers de victimes dans le monde. Ils sont également connus comme de généreux donateurs pour de nombreux grands musées où leur nom est fièrement affiché – mais leurs milliards sont tachés de sang.

Toute la beauté et le sang versé s’ouvre par une scène assez similaire à 120 battements par minute, avec ce qui ressemble à un die-in d’Act Up. Un happening a lieu au Met, à New York. Et voilà ce qui est au cœur du portrait réalisé par Poitras : l’artiste et l’activiste Nan Goldin sont indissociables. Ce sont les actions de Goldin aujourd’hui et ses conséquences concrètes qui sont filmées, mais c’est en fait tout son art qui est profondément politique. Le long métrage fait écho à ses combats passés mais au-delà des combats il y a les représentations : sa réflexion au travers de ses photos sur le genre, les personnes queer, des drag queens aux travailleuses du sexe, ont une évidente dimension politique.

Le film met chaleureusement en lumière les marginales et marginaux qui ont croisé sa vie. En creux de l’action au présent de Goldin, il y a son œuvre, les années passées, le portrait d’un New York underground, un émouvant monde disparu et pourtant bien vivant. L’intime, la famille, la communauté, sont autant de témoignages politiques. On tente d’examiner l’espace et la différence entre les récits et les souvenirs véritables, mais les images résonnent de toute façon d’une manière unique. La photo est pour Goldin une « manière de vivre avec la peur » et le film saisit avec talent cette pulsion vitale.

Accueillant et pourtant assez radical dans sa construction, Toute la beauté et le sang versé est essentiellement raconté par un défilé de photos. Il faut un grand talent de narratrice pour accomplir un tel pari sans alourdir ou cadenasser le film. L’intelligence de Poitras rend justice à celle de Nan Goldin, à son intégrité et sa cohérence d’artiste engagée, libre et passionnante, fidèle à ce qui constitue son art.

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par Nicolas Bardot

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