Fujishima, ancien flic violent et alcoolique, a perdu son job et sa famille le jour où il a tabassé l’amant de sa femme. Poussé au divorce et devenu depuis agent de sécurité, il est sous médocs pour tenter de calmer ses pulsions. Il n’a plus vu sa famille depuis plusieurs années jusqu’au jour où son ex-femme l’appelle en lui disant que leur fille Kanako, désormais au lycée, a disparu depuis quelques jours. Fujishima découvre vite que sa fille, qui pourrait presque passer pour un ange à première vue, cache en fait une face beaucoup plus sombre…
The World of Kanako
Japon, 2014
De Tetsuya Nakashima
Durée : 2h00
Sortie : 18/12/2020 (dvd/blu-ray)
Note :
DANS LES TÉNÈBRES
Il est toujours trop tôt pour faire ce genre de raccourci (ou trop simple), mais dans la carrière de Tetsuya Nakashima, il y a peut-être eu un avant et après Confessions. Pas tant à cause du succès inattendu et fou de ce film tout aussi dingo (des salles nippones bondées jusqu’à une présence dans la shortlist des nommés aux Oscars), mais plutôt parce l’appétit du réalisateur pour l’hystérie colorée, kawaï et bondissante s’y trouvait teintée d’une noirceur inattendue. Les changements de registres, de rythme et autres tours de grand huit ne faisaient qu’y mettre en avant l’angoisse amère des personnages.
Amère, c’est un euphémisme qui pourrait tenter de décrire la descente aux enfers des personnages de The World of Kanako. Une nouvelle nuance de noir encore plus foncé serait utile pour rendre justice à un récit qui, sur le papier, rappelle le nihilisme jusqu’au-boutiste de certains polars coréens. Mais sur le papier uniquement, car grâce à la Nakashima’s touch, The World of Kanako ne ressemble jamais à un thriller classique et ne ressemble d’ailleurs à rien d’autre qu’à lui-même. C’est un ouragan.
Montage ultra-saccadé, couleurs chatoyantes, changement de registres brutaux (mais habiles), recours presque subliminaux à l’animation, structure en flashbacks… ces effets pourraient paraitre gratuits mais forgent au contraire un ensemble cohérent et particulièrement dense, un remous permanent qui parfois épuise mais le plus souvent fascine. Tout ceci serait sans doute stérile si, dès la citation placée en exergue, Nakashima ne plaçait pas son film dans l’héritage inattendu du surréalisme.
De Cocteau à Lewis Carroll, on a beaucoup théorisé sur les symboles et métaphores autour des psychotropes dans l’œuvre des surréalistes. Il est effectivement question de drogues dans The World of Kanako. Au sens propre bien sûr, mais aussi de manière plus imagée. Et c’est sur ce terrain-là que Nakashima se singularise le plus. En prenant suffisamment au sérieux la propre folie qu’il peut injecter dans ce récit en le distordant, il témoigne d’une confiance enthousiasmante dans la technique du médium cinéma. Voilà un cinéaste qui n’a pas peur l’image, qui n’a pas peur du montage, qui parvient à garder le cap sans jamais se laisser piéger par sa propre fantaisie.
Comme la Laura Palmer de Twin Peaks, l’héroïne éponyme dévoile au fil de l’enquête un visage bien plus sombre que prévu. Au point d’entrainer chacun dans sa chute hallucinée. Tous ceux qui vont croiser son chemin vont faire l’expérience d’une fascination presque surhumaine, qui les laissera littéralement détruits. Il y a effectivement quelque chose de la chute infinie d’Alice dans son trou de lapin, dans le parcours de Kanako et des autres. Pour tous, c’est comme si la chute de plus en plus profonde dans la psyché de Kanako, le manque progressif d’oxygène et de discernement, venaient dilater le réel. Jusqu’à flirter avec le fantastique, lors d’une séquence où la quête virerait presque à la chasse au démon mythique. L’expérience n’est pas loin d’être la même pour le spectateur, hypnotisé mais aussi parfois privé de respiration par un film qui prend à la gorge et ne connait pas répit. The World of Kanako peut paraitre anxiogène, mais c’est surtout un chef d’œuvre flamboyant.
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par Gregory Coutaut