Ce long métrage raconte comment, en 1973, un anthropologue a réuni 5 hommes et 6 femmes sur un bateau traversant l’Atlantique afin de mener une étude scientifique de la violence, du sexe et des comportements de groupe. L’expérience n’a pas tourné comme prévu. Des décennies plus tard, Marcus Lindeen réunit à nouveau les participants et retente l’expérience…
The Raft
Suède, 2018
De Marcus Lindeen
Durée : 1h37
Sortie : 13/02/2019
Note :
LA CROISIÈRE S’AMUSE
Pourquoi la violence ? C’est la question qu’un anthropologue mexicain s’est posé dans les années 70 avant d’initier une expédition sans pareille. En 1973, Santiago Genovés s’est embarqué avec 6 femmes et 4 hommes sur un navire censé traverser l’Océan Atlantique. Le but : réaliser une étude comportementale dans ce huis-clos sans issue. Le postulat est déjà d’un surréalisme délicieusement absurde : traverser un océan dans un simili-radeau de 12 mètres sur 7 et affronter de possibles tempêtes dans une boîte de conserve. Le Suédois Marcus Lindeen (lire notre entretien) a réuni, 43 ans plus tard, les survivants de cette odyssée (7 dont les 6 femmes) pour reproduire l’expérience dans une réplique en bois du radeau d’origine, installée dans un grand hangar à la Dogville – installée est bien le mot pour ce qui ressemble à une installation d’art contemporain.
The Raft est documenté par les nombreux films tournés à l’époque et semble être un concentré 70s à l’utopie post-baba. Il y a pourtant quelque chose de sacrément contemporain, d’abord dans le dispositif mis en place par Lindeen, mais aussi dans le projet de Genovés. Celui-ci a casté avec attention les différents participants à son expérience: une plongeuse, une capitaine, un photographe… Il y a une Suédoise, deux Américaines, un Japonais, deux Françaises… Et, comme on nous l’avoue, chacun a aussi été casté pour son physique afin de rapprocher les uns avec les autres… et créer des tensions. 30 ans avant les diverses émissions de télé réalité dites de surveillance, Genovés emprunte déjà ses rouages. On parle aujourd’hui d’aventure pour le moindre télé crochet – l’aventure ici proposée est à la fois littérale mais annonce avec des décennies d’avance ce qu’on considère comme une aventure aujourd’hui.
On imagine dans The Raft cet anthropologue observer ses sujets comme dans un aquarium. Pour analyser les mécanismes de la violence, Genovés aura pensé à tout, comme renverser les stéréotypes d’époque en prenant des femmes pour les postes de pouvoir au sein du navire : est-ce la clef pour moins de violence, est-ce qu’au contraire cela va éveiller la frustration des hommes ? On craint un instant que l’expérimentation ne mène à rien, la presse se moque du projet et n’y voit qu’un prétexte à la baise en haute-mer : la radeau et son projet vont-ils couler ? The Raft arrivera pourtant bien à bon port et c’est bien là toute l’ironie du film.
Car cette question persiste : « Can we do without war ? » Genovés est tellement obsédé par son étude qu’il ne voit même pas que la réponse s’offre à lui. Ce mâle alpha qui offre aux femmes les postes de pouvoir mais qui ne supporte pas d’être privé du sien, cet observateur qui fomente, manipule, provoque et fait preuve d’une violence psychologique de dictateur est l’instigateur-même de la violence. Genovés, Tartuffe aveuglé par ses codes de macho, ne semble rien apprendre, en tout cas pas ce qu’il cherchait. C’est là le plus terrible : sa réponse est là, entre les mains de ces différentes femmes qui, ironie du sort, ont enterré pratiquement tout l’équipage masculin, qui s’entendent, ont du recul, se tiennent la main, ayant survécu à cette expérience utopique et hypnotique et ayant survécu à la vie tout court.
L’image finale est aussi puissante que ces femmes qui apportent des réponses à un homme incapable de les voir. Le documentaire de Lindeen parvient lui à être une captation du réel et une réelle aventure, vintage et moderne, politique et fun – absolument passionnant.
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par Nicolas Bardot