Festival de Locarno | Critique : The Landscape and the Fury

Les démineurs et les familles migrantes venues des confins, chassées et parfois secourues, arpentent la frontière bosno-croate près de Velika Kladuša. Figures du territoire approchées par Nicole Vögele, elles convoquent les cicatrices de la guerre des années 1990 et les fugitif·ve·s d’aujourd’hui. Un film tellurique, kaléidoscope de paysages hantés par les fureurs passées et présentes.

The Landscape and the Fury
Suisse, 2024
De Nicole Vögele

Durée : 2h18

Sortie : –

Note :

LES CENDRES DU TEMPS

The Landscape and the Fury s’ouvre par un souffle ; le chemin parcouru de nuit, dans les bois, pourrait ressembler à une filature terrorisée dans Le Projet Blair Witch. Pourtant, il n’est nullement question de cinéma de genre dans le documentaire de la Suissesse Nicole Vögele, qui dépeint l’urgence bien réelle de migrant.e.s traversant cette région du nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, à la frontière de la Croatie et donc aux portes de l’espace Shengen. Les personnes comptent les heures passées à marcher, et la nuit noire est parfois péniblement éclairée par quelques lampadaires jetant une faible lumière sur un chemin inquiétant.

Très tôt dans cet impressionnant long métrage (dévoilé en compétition au Festival Visions du Réel), Nicole Vögele filme une mer d’arbres. La forêt semble à première vue paisible, il y a même parfois quelques plans qui rendent compte du caractère bucolique des lieux. Mais le décor est rapidement rendu lugubre par les traces humaines laissées ici ou là. C’est un bout de semelle figé dans la boue, ce sont les débris d’un Nokia incrustés dans le sol, des vêtements éparpillés au bord de la rivière, des photos d’identité abimées parmi les feuilles d’arbres : autant d’indices suggérant des situations dramatiques et des lieux abandonnés (vidés ?) dans l’urgence.

« C’est la Bosnie ? » se demande l’une des personnes filmées par Vögele. Les espaces, abstraits, finissent par se superposer – tout comme les temporalités. On croise un tank abandonné qui appartient à un autre conflit. Dans le sol sont encore dissimulées les mines d’il y a trois décennies, et qu’on tente laborieusement de neutraliser. The Landscape and the Fury est un film sur le temps : ce sont certes les saisons qui passent à l’écran, mais ce sont surtout les conflits d’aujourd’hui qui se superposent sur ceux d’hier, dans les lieux hantés sur lesquels s’attarde la caméra de la cinéaste.

Il n’y a pas de commentaire didactique dans The Landscape and the Fury. La plupart des protagonistes sont filmés à distance, la majorité des témoignages sont simplement des discussions captées au loin. Tout juste entend-on que certains espèrent atteindre la Belgique, d’autres l’Angleterre. Plus tard un homme se souvient des atrocités inconcevables de la guerre de Yougoslavie et des traces indélébiles laissées dans les âmes. Comment apprendre à vivre avec, à l’époque et encore aujourd’hui ? Dans le film, des hurlements glaçants au cœur de la nuit finissent par être avalés par l’obscurité. « Est-ce qu’il nous suit toujours ? » s’inquiète une femme sans qu’on ne sache précisément de quelle menace il s’agit. Qu’est-ce qui, de décennie en décennie, poursuit les survivant.e.s d’hier et les fugitif·ve·s d’aujourd’hui ?

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par Nicolas Bardot

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