Festival de Locarno | Critique : The Hearing

Quatre demandeurs d’asile rejouent leurs conversations avec les autorités dans un jeu d’inversion des rôles. Que se passe-t-il lorsque votre avenir dépend de votre capacité à raconter votre propre histoire de vie de manière convaincante?

The Hearing
Suisse, 2023
De Lisa Gerig

Durée : 1h21

Sortie : –

Note :

SUR ÉCOUTE

Dans un bureau anonyme aux murs gris et blancs, quelques personnes se réunissent. Elles sont ici pour un jeu de rôle mais le sujet de celui-ci n’a rien de léger puisqu’il s’agit des entretiens passés par des personnes réfugiées en demande d’asile en Suisse. The Hearing (le terme anglais désigne à la fois l’audience et l’audition) se concentre sur quatre personnes : une homme camerounais, une femme nigériane, un jeune homme afghan et une femme trans philippine. Tous sont venus chercher refuge en Suisse et ont dû pour cela passer devant une commission pour parler de leur parcours et tenter de convaincre de l’urgence de leur situation. Ce sont ces entretiens, qui se déroulent normalement en secret, qu’ils et elles rejouent aujourd’hui devant la caméra.

Face à eux se trouvent des véritables traducteurs, greffiers et autres bureaucrates de l’administration concernée. Si ces derniers sont des habitués de ce type d’entretiens, ce ne sont pas eux qui se sont réellement occupés des dossiers des protagonistes. On pourrait penser que les quatre demandeurs tireraient une certaine puissance à rejouer leurs audiences « pour de faux » et sans enjeux face à de nouveaux interlocuteurs, mais il n’en est rien. Telle est la première chose que l’on réalise dans cet implacable documentaire : le ton général de ces discussions a beau demeurer d’une bienveillance neutre, les questions ont beau rester aussi brèves et factuelles que possible, impossible d’ignorer la brutalité des enjeux.

Car quel est le but de ces entretiens ? Convaincre de la légitimité de la demande d’asile, mais comment celle-ci peut-elle être mesurée ? Les employés de cette administration évoquent la question de la crédibilité des demandes, qui peuvent parfois sonner faux. Mais comment attendre d’une personne en situation de détresse souvent extrême qu’elle puisse raconter sa vie en chapitres clairs et percutants comme si elle passait un entretien d’embauche ? Même dans le cadre de cette reconstitution, la femme trans philippine ne cache par exemple ni son exaspération ni son découragement quand son interlocutrice se permet de l’interrompre ou pire, de lui poser des questions trop intimes sur son anatomie.

Aussi passionnantes que soient les questions que soulève le dispositif de ce jeu de rôle, celui-ci n’échappe pas aux répétitions. On croit avoir fait le tour des dynamiques de pouvoir liées à ces prises de paroles mais celles-ci se retrouvent entièrement redistribuées dans le dernier tiers du film, quand les rôles s’intervertissent. Les demandeurs deviennent examinateurs, et vice-versa. Les questions ne portent alors plus sur des situations politiques mais sur des interrogations morales, comme par exemple les manières d’assumer et gérer un tel pouvoir de décision sur la vie d’autrui. En redonnant au réfugiés non seulement la parole sur leurs propres vies mais sur le rôle de juge, la réalisatrice Lisa Gerig leur redonne une dignité qui donne toute sa force au film.

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par Gregory Coutaut

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