1750. Haute-Autriche. Agnes, une jeune mariée, se sent une étrangère dans le monde rural et froid de son mari. Très croyante et sensible, elle se replie progressivement sur elle-même. Sa prison intérieure devient écrasante, sa mélancolie insurmontable. Sa seule issue lui apparaît alors sous la forme d’un acte de violence inouï.
The Devil’s Bath
Autriche, 2024
De Veronika Franz et Severin Fiala
Durée : 2h01
Sortie : 02/10/2024
Note :
CONTE DE LA CRYPTE
The Devil’s Bath est un projet dont le duo autrichien Veronika Franz & Severin Fiala (lire notre entretien) nous avait parlé il y a bientôt dix ans, lors de la promotion de leur premier long métrage Goodnight Mommy. On imagine aisément ce qui a pu prendre autant de temps dans la production d’un film aussi hors normes, présenté en compétition à la Berlinale. Si Franz et Fiala se sont fait connaître avec des films d’horreur, The Devil’s Bath n’est pas tant un film d’horreur qu’un film historique sur des faits horribles. Ce ton à la croisée des genres est l’une des singularités du long métrage, pour lequel les cinéastes n’ont néanmoins pas oublié ce qui constitue l’essence d’un grand film d’horreur : la subversion.
The Devil’s Bath relate des faits peu connus alors qu’on compte des centaines de victimes, en Autriche comme en France. Dans des sociétés ultra-religieuses où le suicide est le pire des péchés, des femmes qui souhaitent mourir en viennent à commettre des crimes horribles afin d’être exécutées. Le premier plan du film paraît pourtant envoyer un message ironique : ce sont des ombres chinoises sur un drap, et la peur ne semble alors qu’une illusion – ce ne sont rien que des ombres. Mais la vie d’Agnes, une jeune mariée d’un coin perdu de Haute Autriche, n’est faite que d’ombres. Le plan sur son visage décomposé lorsqu’elle découvre sa demeure conjugale est une étonnante touche d’humour noir. Agnes devra vivre dans un monde souterrain, pratiquement sans fenêtre – même les bêtes à l’étable de l’étage supérieur sont mieux loties.
Pour filmer ce monde de nuit, Veronika Franz et Severin Fiala ont pu compter sur l’aide de l’extraordinaire Martin Gschlacht, collaborateur régulier de Jessica Hausner et avec qui le duo avait déjà travaillé sur Goodnight Mommy. Dans la masure ou au cœur des bois, le clair-obscur de The Devil’s Bath, cette pénombre qui n’est que faiblement éclairée par des torches ou un feu, sont remarquables. La formidable composition des plans et la façon de saisir la nature (comme ce plan monumental de cascade en début de film) donnent une ampleur à ce récit étouffant. La nature, comme dans les précédents longs métrages de Franz et Fiala, est un piège de tout instant qui se referme sur les personnages. Ici, ce sont des marais qui ressemblent à des sables mouvants, ou d’inextricables branchages comparables aux barbelés dans lesquels tombe une malheureuse dans Suspiria.
Au cœur de cette nature, il y a un lieu pas comme les autres. L’une des femmes exécutées, ou plutôt ses restes, sont exposés quelque part. Agnes découvre cet endroit macabre qui ne semble pas la choquer, est-ce pour elle un sanctuaire, ou un refuge ? Malheureuse de ne pas être mère, traitée avec le paternalisme réservé aux femmes qui ne sont de toute façon que des objets, qui ne s’appartiennent pas, Agnes plonge profondément dans la dépression. La jeune femme entrevoit un monde alternatif, celui des insectes-joyaux, des parures d’os, ou encore celui de cette femme morte mais délivrée. The Devil’s Bath dépeint le poids politique de la religion (« On nous donne la vie pour dire oui » sermonne le curé) et la place inexistante réservée aux femmes, pour lesquelles même cuisiner est censé être une question de foi. Cela se passe il y a bientôt 300 ans, cela se passe aussi aujourd’hui.
Quel monde mystique se cache derrière ces ombres ? Par trois fois, la caméra se place au-dessus des nuages. C’est ce qui semble alors la seule échappatoire des Agnes de l’époque, ces impies dont on fait des gravures. The Devil’s Bath n’est pas à proprement parler un film d’horreur, mais il est par ricochet un film de sorcière. Ce dont souffre Agnes fait d’elle une sorcière aux yeux du monde. Le regard péniblement échangé entre elle et une fillette dans une scène finale est la transmission d’une sorcière à une autre. Le double vrai-faux happy end laisse bouche bée, d’abord grâce à l’interprétation hantée d’Anja Plaschg (également compositrice de l’excellente bande sonore), puis par la folie qui s’empare de l’image. Là encore, pas un film d’horreur, juste des faits horribles d’un grotesque glaçant.
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par Nicolas Bardot