
Guinaw Rail, commune oubliée de la grande banlieue de Dakar se vide. Les bulldozers attaquent les maisons sur le tracé du Train Express Régional, symbole du « Sénégal émergent » du président Macky Sall. Avant qu’il ne disparaisse et se transforme tout à fait, le réalisateur filme son royaume d’enfance ainsi que sa mère, qui déroule le fil d’une vie derrière les Rails.

The Attachment
Sénégal, 2025
De Mamadou Khouma Gueye
Durée : 1h16
Sortie : –
Note :
A NOUS DE VOUS FAIRE PRÉFÉRER LE TRAIN
Un drapeau sénégalais flottant dans le ciel, aperçu à travers les trous béants des murs d’une habitation : la première image de The Attachment (Liti Liti) synthétise puissamment le propos du long métrage réalisé par le Sénégalais Mamadou Khouma Gueye. Dans ce documentaire dévoilé en compétition au Festival Visions du Réel, le cinéaste dépeint la vie de tous les jours d’une ville de la banlieue de Dakar, bouleversée par la construction du premier TER d’Afrique. C’est une avancée formidable : on promet depuis des années que « Dakar deviendra Paris », un spectacle son et lumière vient chanter les louanges de cette opportunité extraordinaire, et ce show s’achève par un slogan : « laissez-vous transporter ». Irrésistible, sauf que par « laissez-vous transporter », il faut surtout entendre « dégagez de là ».
Car pour construire ce TER, l’endroit que filme Mamadou Khouma Gueye doit être « déblayé ». L’endroit, et surtout les habitant.es qui y résident, parfois depuis toujours. C’est la cas de la mère du cinéaste, que ce dernier interroge. « Tout le monde est fatigué » confie t-elle, tandis qu’on l’observe plus tard, souffrante, suivre une rééducation et des traitements douloureux. Mais elle aussi, elle doit dégager, ou « se laisser transporter ». The Attachment n’est pas misérabiliste, on évoque des malheurs qui rappellent une chanson de Youssou N’Dour et la discussion s’achève dans un éclat de rires, ou dans une démonstration de tendresse. Mais les sentiments sont amers : la mère de Mamadou Khouma Gueye rêve de partir en France ; le cinéaste lui parle du froid, de l’ennui qu’elle va ressentir, et celle-ci répond, désolée : « j’ai besoin de solitude, d’apaiser mon âme ».
Lors d’un plan saisissant, l’écran est coupé en deux avec d’un côté la ligne de TER et de l’autre la ville, comme si l’une et l’autre vivaient leur vie sans se soucier de ce qui se joue autour. Lors de l’inauguration officielle, un Français venu faire un discours vantant la SNCF réduit les voix qui s’élèvent contre ce projet et les conditions dans lesquelles il a été réalisé à « des grincheux ». Un pur colon, d’un paternaliste abject, qu’on imagine ensuite rentrer confortablement en France et voter pour des partis fétides. Sur place, la vie continue. Les travaux le jour, la fête la nuit. Elle continue malgré les paroles creuses du pouvoir promettant un Sénégal pour tous. Des individus sont morts, d’autres sont relégués dans des conditions très discutables – des voix off de différent.es intervenant.es résonnent alors comme un choeur. Ces voix ne sont pas plaquées sur des images de trains, juste des murs autour de la ligne de TER, ou des escaliers qui la traversent, comme si le train lui-même ne les concernait pas.
Mamadou Khouma Gueye raconte un monde qui s’éteint, ou plutôt un monde sur lequel on éteint la lumière. Car sa mère, comme bien d’autres, sont encore là. L’une des images marquantes du film montre celle-ci, debout parmi des ruines, tandis que des murs colorés s’élèvent encore fragilement autour d’elle. Mais dans ce lieu de désillusion politique, on dit que « même les djinns ont fui ». Un lit est posé près de la ligne de TER, comme une anomalie dans le décor. Pendant ce temps, une voix enregistrée, joyeuse et accueillante, annonce les destinations du train à l’approche.
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par Nicolas Bardot